A mesure que la tension monte entre Washington et Moscou, les tensions augmentent entre
l’Arabie Saoudite et l’Iran. Le conflit entre les deux États remonte à
la révolution iranienne de 1979, qui a enflammé l’imagination des
militants musulmans à travers le monde et menacé de démasquer les Saoudiens comme des corrompus et des soutiens complaisants au statuquo favorisant l'impérialisme et le sionisme.
Mais plus les saoudiens cherchaient à redorer leur crédibilité
musulmane en recrutant des milliers de moudjahidines pour combattre les
“infidèles” soviétiques en Afghanistan et en dépensant des dizaines de
milliards de dollars pour diffuser leur vision ultraconservatrice de
l’Islam, plus la rivalité entre sunnites et chiites s’intensifiait.
“Le moment n’est pas si loin au Moyen-Orient, Richard, où ce sera littéralement ‘que Dieu aide les chiites’.” a déclaré
le prince saoudien Bandar ben Sultan à Sir Richard Dearlove, directeur
des services secrets britanniques, ou MI6, avant le 11 Septembre. “Plus
d’un milliard de sunnites en ont tout simplement assez d’eux.”
Le prince Saud al-Faisal, ancien ministre pendant longtemps, a fait remarquer
au secrétaire d’état américain John Kerry que “Daesh est notre réponse a
votre soutient au Da’wa”, le parti islamiste chiite que l’invasion
américaine a aidé à installer en Irak.
Daesh était méchant quand il menaçait la monarchie saoudienne, mais
quelque peu moins lorsqu’il guerroyait contre le chiisme.
Mais 2015 a marqué un tournant.
Une fois qu’ils ont commencé à bombarder les
rebelles Houthi au Yémen – un instrument des Iraniens, aux yeux des
Saoudiens – les Saoudiens ont encouragé le clergé wahhabite à dénoncer
leur ennemi de l’autre côté du détroit d’Ormuz en des termes de plus en
plus acides. Un jour après le déclenchement de la guerre, par exemple,
la chaîne d’information d’État a accordé du temps d’antenne à un mollah
radical nommé Saad ben Atiq al-Ati qui a déclaré
que le Yémen était destiné à être “purement monothéiste”, qu’il “ne
pouvait pas être pollué ni par les Houthis, ni par les Iraniens”, et que
“nous nettoyons le pays de ces rats”.
Les officiels iraniens ont répondu
en accusant les Saoudiens de “suivre les pas du sioniste Israël” et en
prédisant que “la maison saoudienne tomberait bientôt”. Mais le ton est
devenu encore plus agressif après la bousculade du 24 septembre à La
Mecque, ayant tué "officiellement" 1453 personnes, dont un tiers d’iraniens [1].
Parmi les plaintes comme quoi la police saoudienne a été grossière et indifférente,
refusant aux pèlerins, même âgés, de quitter le lieu malgré la
température extrême, l’Ayatollah Ali Khamenei, le guide suprême iranien,
a appelé
l’Arabie Saoudite à présenter des excuses au “monde musulman” pour
avoir permis que survienne ce désastre, tout en promettant une “réaction
sévère et dure” si le royaume ne renvoyait pas rapidement les corps de
ceux qui avaient été tués.
Certains autres dirigeants iraniens ont été encore plus incendiaires.
Au lieu du langage diplomatique, le président Hassan Rouhani a averti
que l’Iran pourrait utiliser “le langage de l’autorité” dans ses
relations avec les Saoudiens. Mohammad Ali Jafari, commandant des
Gardiens de la Révolution Islamique, a promis de “faire répondre la
dynastie saoudienne des crimes qu’elle a commis”, ajoutant :
“Le monde musulman est fatigué des trahisons et de l’ignorance des
Saoudiens… incluant le massacre du peuple du Yémen, les déplacements des
populations pauvres de Syrie, la répression au Bahreïn, les massacres
ethniques en Irak, la création de tensions ethniques et le soutien au
terrorisme. Les Saoudiens devraient être balayés par la colère des
musulmans.”
Mohsen Rezaei, le prédécesseur de Jafari à la tête des Gardiens de la
Révolution Islamique, a prévenu Riyahd : “Ne jouez pas avec le feu,
parce que le feu vous brûlera … ne suivez pas l’exemple de Saddam
[Hussein], qui n’avait plus d’issue de secours lors de la guerre
Iran-Irak.”
Cela équivaut à une déclaration de guerre. Jafari est allé jusqu’à
comparer les Saoudiens à Abu Lahab, qui, selon la tradition musulmane,
était un oncle du prophète Mahomet qui s’était élevé contre la cause
musulmane. C’est l’équivalent d’un pape qualifiant de “Judas”, ou même
de “Satan”, le chef de l’Église orthodoxe russe.
Comment ce jeu se terminera-t-il ?
La direction que prend cette histoire semble bien trop claire. Une
possibilité est un affrontement entre l’Arabie Saoudite et les forces
iraniennes dans le détroit d’Ormuz, une voie d’acheminement vitale du
pétrole, une répétition par certains aspects de la guerre Iran-Irak des
années 80, mais avec des F-15 chasseurs-bombardiers entre les mains des
Saoudiens et, du côté iranien, des missiles Shabab 3.
Certes, il y a des faits qui ont tendance à calmer le jeu. Avec un déficit budgétaire de 20% en raison d’une chute vertigineuse des prix du pétrole, Riyad est sous une pression croissante. En septembre 2015, un prince saoudien aîné a écrit deux lettres
condamnant la guerre au Yémen et appelant le roi Salman, un
jusqu’au-boutiste aux liens étroits avec les oulémas wahhabites, à se
retirer. Les rumeurs d’une révolution de palais se répandent.
Un État normal pourrait en conséquence rentrer ses griffes. Mais
l’Arabie Saoudite est une des entités politiques les plus bizarres de
l’histoire, une kleptocratie géante régie par de très riches “pompes à
fric”, comme les capitalistes rentiers furent surnommés.
En conséquence, son comportement en devient de plus en plus
imprévisible, c’est pourquoi il est impossible d’exclure la possibilité
d’une certaine sorte de provocation militaire envers l’Iran. Depuis des
années les États-Unis ont encouragé les États du Golfe à “recycler”
leurs profits pétroliers en armes de dernière technologie, afin de faire tourner à plein régime les usines militaires occidentales au seul profit du complexe militaro-industriel de l'OTAN. Les Arabes
ont suivi le conseil américain à la lettre, et maintenant la région est
proche de l’explosion.
Source : Daniel Lazare, Consortiumnews.com, le 16/10/2015
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.
[1] En réalité, il y avait autour de 9000 morts et "disparus". Les disparus sont des savants iraniens et autres qui auraient été kidnappés par les Services Spéciaux israélo-saoudiens. Voir les détails dans : Assassinat et kidnapping à La Mecque