mardi 3 novembre 2015

Moyen-Orient. Défaite de La France, du Qatar, de la Turquie et de la Saoudie

La période du sinistre « Printemps arabe » touche à sa fin. Désormais, la Maison-Blanche et le Kremlin sont en train de redessiner les contours du « Moyen-Orient élargi ».
La presse, dans quelque pays que ce soit, est tellement occupée à scruter la position de son propre État dans le conflit du Proche-Orient qu’elle ignore les négociations globales entre la Maison-Blanche et le Kremlin et, du coup, interprète de travers les événements secondaires. Pour clarifier l’agitation diplomatique actuelle, nous devons donc revenir à l’accord États-Unis/Russie de septembre dernier.


Vladimir poutine et barack ObamaLa partie publique de cet accord a été formulée par la Russie dans un document distribué le 29 septembre au Conseil de sécurité de l’ONU. Il indique que, pour rétablir la paix et la stabilité en Afrique du Nord et au Proche-Orient, il faut et il suffit d’appliquer les résolutions du Conseil de sécurité —ce qui implique notamment le retrait d’Israël sur ses frontières de 1967— et de lutter contre l’idéologie terroriste —c’est-à-dire à la fois contre les Frères musulmans créés par le Royaume-Uni et soutenus par la Turquie, et contre le wahhabisme propagé par l’Arabie saoudite—.
Il avait été initialement prévu que la Russie fasse adopter une résolution en ce sens lors de la réunion du 30 septembre du Conseil de sécurité. Cependant, les États-Unis s’y sont opposés dans l’heure précédente. Sergueï Lavrov a alors présidé la séance sans évoquer son projet. Cet événement majeur ne peut s’interpréter que comme un désaccord tactique qui ne doit pas entraver un accord stratégique.
Le 20 octobre, le président Vladimir Poutine recevait au Kremlin son homologue syrien, Bachar al-Assad, en présence de ses ministres de la Défense et des Affaires étrangères, du secrétaire général du Conseil russe de sécurité nationale et du chef des services secrets. L’entretien portait sur l’application du plan russo-étatsunien, incluant celle du Communiqué de Genève du 30 juin 2012. Le président al-Assad faisait valoir qu’il suit les instructions de ce Communiqué et, notamment, qu’il a intégré dans son gouvernement les partis d’opposition, qui en ont fait la demande conformément à la description que le Communiqué fait d’un Organe gouvernemental de transition.
S’étant assuré que les deux pays avaient une même lecture du Communiqué de Genève, la Russie et les États-Unis décidèrent de mettre au pas les États dissidents, à savoir la France, la Turquie et l’Arabie saoudite. Sachant que la position française n’est pas fondée sur des intérêts réalistes, mais s’explique exclusivement par un fantasme colonial et par la corruption de son gouvernement par l’argent turc et saoudien, la Maison-Blanche et le Kremlin décidèrent de traiter uniquement la source du problème, à savoir Ankara et Riyad. Le 23 octobre, John Kerry et Sergueï Lavrov reçurent donc leurs homologues turc et saoudien à Vienne. Aucun texte final n’a été publié. Cependant, il semble que la Russie ait menacé les deux invités sans que les États-Unis ne prennent leur défense.
Affolé d’une possible entente russo-étatsunienne contre la Turquie et l’Arabie saoudite, la France convoqua alors un « dîner de travail », et non un « sommet diplomatique », à Paris. L’Allemagne, l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, les États-Unis, l’Italie, la Jordanie, le Qatar, le Royaume-Uni et la Turquie « évoquèrent» et non « décidèrent» le sort de la Syrie. Le format de cette réunion correspond à celui du « Core Group » des « Amis de la Syrie », sauf l’Égypte qui a déjà secrètement rejoint le camp de la Syrie. Le fait d’avoir été contraint d’inviter les États-Unis a plombé la réunion. Là encore, pas de texte final.
Enfin, le 30 octobre, les Etats-Unis et la Russie réunissaient un plus vaste aréopage comprenant tous les participants aux deux réunions précédentes plus l’Égypte, la Chine, l’Irak, l’Iran, le Liban, Oman, l’Union européenne et les Nations unies. Si la presse s’est esbaudie de la présence de l’Iran qui avait été tenu à l’écart de tout règlement depuis le début du conflit, elle n’a pas relevé le retour de l’Égypte du maréchal al-Sissi qui rentre sur la scène internationale grâce à la découverte de ses nouvelles réserves de pétrole, ni de l’absence persistante de la principale puissance régionale, Israël. Ce dernier point ne peut s’expliquer que dans le cas où l’État hébreu avait obtenu préalablement la garantie de parvenir à un de ses objectifs de guerre, la création d’un Etat colonial au Nord de la Syrie.
 Les participants ont tous été priés de signer une déclaration finale que seuls les Russes et les Iraniens ont prit soin de diffuser. Et pour cause : elle marque la défaite des faucons américains. En effet, dans son point 8, il est indiqué que le « processus politique » —et non pas le « processus de transition»— sera conduit par les Syriens, propriété des Syriens, et que le Peuple syrien décidera du futur de la Syrie. Cette formulation lourde invalide le document Feltman qui constitue l’objectif depuis plus de trois ans des faucons américains, des Français, des Turcs et des Saoudiens : la capitulation totale et inconditionnelle de la République arabe syrienne.

La suite des événements devrait donc logiquement être la mise au pas de la Turquie, de l’Arabie saoudite et de la France, ce qui pourrait être fait tout en poursuivant les objectifs initiaux américains.

Pour la Turquie, après le scrutin probablement truqué du 1er novembre et la victoire de l’AKP, la guerre civile devrait s’étendre et se développer jusqu’à la partition du pays en deux, puis à la fusion du Kurdistan turc, du Kurdistan irakien et d’un territoire arabe syrien occupé par les Kurdes syriens et les États-Unis. D’ores et déjà, le YPG et les Etats-Unis conquièrent ensemble un territoire arabe au Nord de la Syrie. Le YPG qui, jusqu’au mois dernier, recevait ses armes et ses soldes de Damas, s’est retourné contre la République arabe syrienne. Ses miliciens envahissent les villages conquis, expulsent les enseignants et décrètent la kurdisation forcée des écoles. Le Kurde, qui était parlé et enseigné à l’école, devient la langue unique et obligatoire. Les milices de la République arabe syrienne, notamment les Assyriens, en sont réduites à défendre leurs écoles par les armes contre leurs compatriotes kurdes.

De son côté le roi Salman d’Arabie saoudite doit encaisser sa défaite au Yémen ; un voisin qu’il avait envahi officiellement pour soutenir un président en fuite, en réalité pour exploiter avec Israël le pétrole du « Quart vide ». Coup sur coup, les Emirats arabes unis et l’Egypte se sont retirés de sa Coalition. Les premiers, après avoir essuyé de lourdes pertes parmi leurs officiers, les seconds plus discrètement, laissant les opérations militaires aux seules mains des Israéliens. Les Houthis, poussés vers le Nord par les bombardements, ont effectué plusieurs incursions en Arabie saoudite et y ont détruit des bases militaires aériennes et leurs matériels. Les soldats saoudiens, presque tous des étrangers servant sous écusson saoudien, ont déserté en masse contraignant le roi à prendre un décret contre les abandons de poste. Pour éviter un désastre militaire, l’Arabie saoudite a alors sollicité de nouveaux alliés. Contre de l’argent sonnant et trébuchant, le Sénégal a envoyé 6.000 hommes et le Soudan 2.000. La Mauritanie hésite à envoyer un contingent. Le roi, dit-on, aurait également sollicité l’armée privée Academi (ex-Blackwter/Xe) qui recruterait actuellement des mercenaires en Colombie. Ce fiasco est directement imputable au prince Mohammed ben Salman, qui a revendiqué l’initiative de cette guerre. Ainsi, il affaiblit l’autorité de son père, le roi Salman, et fait gronder la contestation des deux clans exclus du pouvoir, ceux de l’ancien roi Abdallah et du prince Bandar. Logiquement ce conflit devrait aboutir à un partage de leur héritage entre les trois clans et donc à un partage du royaume en trois États.
Ce n’est qu’après ces nouveaux conflits que la paix devrait revenir dans la région, sauf dans la partie arabe colonisée par le nouveau Kurdistan, appelée à devenir le nouveau point de fixation des antagonismes régionaux en lieu et place de la Palestine.

Mais même écrit, le futur est incertain. Le renversement du rapport de forces entre Washington et Moscou pourrait modifier leur accord.

Alors que les mauvais joueurs annoncent sans sourciller que l’intervention militaire russe en Syrie n’apporte pas les résultats escomptés par Moscou, les djihadistes en fuite se replient en Irak et en Turquie. Le chef d’état-major américain, le général Joseph Dunford, a admis, le 27 octobre lors d’une audition au Sénat, que désormais les armes parlaient en faveur de la République arabe syrienne. Tandis que le Commandeur suprême de l’OTAN, le général Philip Breedlove, a déclaré, le 30 octobre, lors d’une conférence de presse au Pentagone, que c’est une litote de dire que la situation évolue de jour en jour et menace désormais la sécurité de l’Europe.
Force est de constater que l’alliance entre les partisans du chaos et ceux de la recolonisation va non seulement perdre en Syrie, mais que l’Alliance atlantique, elle-même, ne peut plus prétendre à la domination globale. Du coup, une soudaine agitation traverse les chancelleries, beaucoup affirmant qu’il est temps de parvenir à la paix —ce qui sous-entend qu’ils pensaient jusque là différemment—.
Les « retournements de veste » qui s’annoncent à propos de la Syrie auront comme première conséquence la consécration du rôle international de la République islamique d’Iran et de la Fédération de Russie ; deux acteurs que la presse occidentale présentait, il y a quatre mois encore, comme totalement isolés et voués à de terribles difficultés économiques ; deux puissances qui sont désormais les premières forces militaires, régionale pour l’Iran et globale pour la Russie ; et comme seconde conséquence le maintien au pouvoir du président al-Assad dont on annonce depuis cinq ans qu’« il doit partir ».
Dans ce contexte, la propagande de guerre continue imperturbablement, affirmant que si ce ne sont pas les bombardements russes qui tuent des civils, c’est l’armée syrienne qui les bombarde ; imputation confirmée par la matrice des organisations terroristes, les Frères musulmans, via leur Observatoire syrien des Droits de l’homme ; ou encore que la Russie est pressée de négocier car son intervention lui revient cher —comme si elle ne l’avait pas budgétisée durant sa longue préparation—. Jamais à court d’invention, le directeur de la CIA, John Brennan, prétend quant à lui que la Russie s’apprête à lâcher le président al-Assad, alors même que le président Poutine s’est gaussé de cette auto-persuasion quelques jours plus tôt, au Club de Valdai.

En France, la révolte gagne la classe politique. Les quatre principaux leaders de la droite, Dominique de Villepin, François Fillon, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy ont chacun de leur côté déclaré qu’il est absurde de s’aliéner la Russie et de ne pas reconnaitre la défaite en Syrie. Cependant Alain Juppé, qui joua un rôle central dans le début de la guerre, notamment en signant un traité secret avec la Turquie, persiste à conserver l’objectif de renverser la République arabe syrienne, plus tard. A gauche, plusieurs leaders envisagent de prochains voyages à Damas.
La panique devant les changements prévisibles est en fait générale. Si Nicolas Sarkozy s’est précipité chez le président Poutine, le vice-chancelier allemand, Sigmard Gabriel, également. Il a plaidé pour que l’on referme les contentieux et les aigreurs du passé et que l’on renoue le dialogue avec la Russie. Il était temps.
Par Thierry Meyssan,
consultant politique, président-fondateur du Réseau Voltaire et de la conférence Axis for Peace.