La France championne du monde s’appelle aussi Kanté et Umtiti, faites avec ! Quoi qu’en disent Matteo Salvini, Nicolas Maduro ou Trevor Noah.
Des fascistes, nous ne dirons rien, qui n’encaissent pas que la France championne du monde s’appelle aussi Kanté ou Umtiti, et
vaff’anculo signore Salvini [allez vous faire foutre monsieur Salvini] et vos comparses.
Nous savons que nous n’échapperons pas à cette guerre –de quelle nature sera-t-elle?– qui séparera les racistes des gens de bien. Raison de plus pour mettre les choses au clair dans notre monde, celui de la simple décence où l’on ne pense pas que la couleur de peau caractérise le champion.
vaff’anculo signore Salvini [allez vous faire foutre monsieur Salvini] et vos comparses.
Nous savons que nous n’échapperons pas à cette guerre –de quelle nature sera-t-elle?– qui séparera les racistes des gens de bien. Raison de plus pour mettre les choses au clair dans notre monde, celui de la simple décence où l’on ne pense pas que la couleur de peau caractérise le champion.
Il est ce mois de juillet quelque chose de malsain sous des apparences statistiques, qui ferait de la victoire française en Coupe du monde un triomphe africain, et cette ritournelle est aussi entonnée à gauche, si l’on ose dire, dans quelques gauches imbues de leurs visions du monde, persuadées de faire pièce aux tenants d’une France seulement blanche et chrétienne, à qui l’on tendrait grâce au football un miroir d’ébène. Ce qui exaspère le fascisme ravit ce progressisme?
De
part et d’autre de la frontière, on assigne à pigmentation les
surhommes au ballon. Ils ne sont pas footballeurs, mais d’Afrique, terre
de leurs ancêtres –et parfois de leur foi– et c’est à ces identités
qu’il faudrait rendre hommage, la France ne méritant pas ses enfants
pigmentés. Ce discours se répand. Il vient de France, il vient
d’Afrique, il vient du Venezuela
et d’Amérique. C’est un animateur de télévision helvético-sud africain
officiant aux États-Unis dénommé Noah, comme un héros français, Trevor
de son prénom.
TONIGHT: Congratulations to Africa on winning the 2018 Men’s World Cup!
Unapologetically Black and Muslim.
Sans s’excuser, dame! Sans s’excuser, évidemment!
Mais alors, que prêche-t-il, le professeur, puisque déjà Pogba prie en
public et tenue d’apparat et sans s’excuser, heureusement, et n’en est
pas moins (pas plus, pas moins) le héros de nos fêtes et le leader du
vestiaire?
Offrir la Coupe à l’Afrique n’est pas un hommage
Malédiction
des bonnes intentions; absurdités des idéologues; étrangeté des
cuistres, qui pensent nous éclairer. Le professeur Beydoun, dans ses
intentions, m’est a priori sympathique. Il écrit contre l’islamophobie chez lui. J’ai osé en France, sur mon pays, un livre de même intention.
Mais un abîme nous sépare: on ne marchande pas les principes et on
n’ethnicise pas la justice. Ce n’est pas parce que des musulmans
m’auraient donné une Coupe du monde que je combats l’islamophobie; ce
n’est pas parce que des enfants d’Afrique marquent des buts en bleu que
je m’emploie à chasser le racisme.
Quand bien même l’équipe de France serait blanche comme neige et catholique comme tout le monde (ainsi parlait le grand Pivert-De Funès dans Rabbi Jacob),
le racisme, l’islamophobie, la xénophobie seraient des maux à
combattre; les enfants d’immigrés resteraient des Français, quand bien
même auraient-ils les pieds carrés! Et il est regrettable que le
distingué progressiste de Yale ait oublié de fustiger le racisme
anti-Asiatiques, que pourrait conjurer alors le gardien d’origine
philippine Aréola. Et, matter of fact, l’antisémitisme est-il acceptable puisque Deschamps n’a pas trouvé d’enfant d’Abraham pour succéder à Mickael Madar?
Absurdité des slogans.
Bêtise
du progressisme, quand il s’ethnicise et ressemble à ce qu’il combat.
Prétention des identitaristes, qui volent la vérité de ceux qu’ils
défendent, et s’obsèdent des origines au mépris des individus. Offrir la
Coupe du monde à l’Afrique et à l’immigration n’est pas un hommage;
c’est un mépris de ce que vivent et construisent les immigrés.
Si
des familles prennent le risque du grand voyage, ce n’est pas pour
qu’on leur nie, le jour du triomphe, le but de leur périple: être
français. Si des parents affrontent l’exil et la pauvreté, le choc de
l’acculturation et celui du racisme, si des familles désormais risquent
la noyade et la torture pour venir ici, ce n’est pas pour être renvoyées
à la case départ, fut-ce verbalement, quand leurs enfants campent, pour
le nouveau pays, au sommet du monde.
Cela ne fait pas de la France le paradis des migrants
Ce
n’est pas tant la France que l’on blesse si l’on dénie à Kanté le beau
nom de français, mais son papa mort quand N’Golo avait 11 ans, qui avait
fait le parcours pour ses enfants, et parmi eux N’Golo qui petit
voulait devenir explorateur comme tout le monde mais qui défricherait
les terrains de football comme personne. Ce n’est pas la République que
l’on punit en expliquant que l’Afrique a gagné, mais les familles des
Bleus, qui leur ont offert la France, et au-delà les familles de tous
les immigrés, passés, présents, à venir, qui sillonnent et irriguent
notre planète par force et par devoir, par la plus simple des ambitions:
ce que l’on doit aux siens.
J’aime les histoires d’immigrés, pour me souvenir que mon arrière-grand-père Adolphe était surnommé en yiddish «le Turc fou»,
puisqu’il était passé par l’Empire ottoman depuis son Odessa natal,
avant de faire souche en France pour faire de mes enfants, l’aurait-il
deviné, des métis sans le savoir qui portent les maillots bleus des
supporters, ce bon été. Ce que nous fûmes et restons, métissés, dilués,
mais le nom en témoigne, des juifs de l’Est, ne change rien au but: des
Français. Ma grand-mère Sarah, dite Suzanne, aurait détesté qu’un Trevor
Noah quelconque, si d’aventure mon papa
était devenu champion du monde de football (je ne l’en aime pas moins
de n’avoir été qu’écrivain), avait fait de lui autre chose qu’un
Français.
Un pays n’est pas aimable autant qu’on l’aime.
Cela ne fait pas de la France le paradis des migrants
ni l’incarnation de la bienveillance. Si je m’offusque de Noah
(Trevor), je n’en suis pas naïf. Je ne rejoins pas l’autre mensonge,
symétrique, de ces illusionnistes de la République, qui font mine de
croire que Matuidi ou M’Bappe prouverait notre excellence et notre
intégration! Si nos héros sont français, ils ne disent rien d’une
innocence française.
Un pays n’est pas aimable autant
qu’on l’aime. Je ne ferai pas ici la litanie de l’antisémitisme, du Vél'
d’Hiv', des gendarmes de Drancy, je ne réciterai pas les mantras de la
chair à canon noire de Mangin et des tirailleurs massacrés à Thiaroye à
la fin 1944, ni les morts de Sétif, ni ceux du 17 octobre 1961, ni les
ratonnés, ni les méprisés des foyers, ni les Dupont-Lajoie, ni les
chasses au faciès, ni les discriminations, ni les discours si laids sur
nos identités, les vaticinations sur l’islam, la laïcité identitaire, la
France calfeutrée de quelques politiciens imbéciles perclus du sacre de
Clovis…
La France se métisse et eux sont métissés avec elle
Tout
ceci existe. Il n’empêche. Nos footballeurs sont français, par la force
de leurs pères et mères et par leur volonté même. Et pourtant,
français. Français par eux-mêmes et par leur choix, par leur choix
surtout, puisque ces footballeurs, champions du monde, ont décidé qu’ils
joueraient en bleu et non pas pour les pays de leurs ancêtres. Ils
auraient pu pourtant: se souvient-on, il y a peu, des angoisses qu’inspiraient les binationaux,
suspects de déloyauté, à quelques pontes du football français? Nos
Bleus balaient tout cela, de leur charmante évidence. Que veut-on
d’autre? Il n’est pas si facile, savez-vous, d’être français de nos
jours, que cette évidence soit mise en doute par quelques sophistes
éclairés. Les Africains sont noirs. Les footballeurs sont noirs. Donc
les footballeurs…
Mais non. Nous sommes dans des
cavernes de Platon idéologiques, et nous philosophons mal sur
l’apparence des choses. La vérité de nos surhommes est celle du pays. La
France se métisse, ce n’est pas d’aujourd’hui, et eux sont métissés
avec elle. Ils sont d’absolus Français, sans abdiquer, chacun à sa
mesure, ce qui les rend chacun unique et tous différents. Ils sont
absolument français, et comme aujourd’hui des Français absolus, ambiancent sur la playlist du Parisien Kimpembe,
successeur de Candela à l’animation musicale, vingt ans après, cette
fois-ci non pas d’inspiration soul ou disco mais éclectique, disent les
Inrocks: «Partagés entre les hits viraux de Naza et Ohmondieusalva
qui occupent une grande partie de la playlist, “We Are The Champions”,
l’hymne de Queen, du Booba ou encore le chanteur congolais Koffi
Olomidé».
Car
la France aujourd’hui balance sur l’icône gay Freddy Mercury et coupe
et décale autant qu’elle crie «Vive la République», et cette banalité
pour quiconque vit dans ce pays échappe aux fascistes comme aux cuistres
du progressisme identitaire. Kimpembe donc. Ce n’est pas parce qu’un
jeune homme à la peau noire, né à Beaumont-sur-Oise d’un papa congolais
et d’une maman haïtienne, jouant au football pour un club qatari de
Paris, fait chanter ses potos en bleu sur des rythmes du Congo, qu’il
est autre chose qu’un Français. Non pas une victime, non pas un
supplétif, non pas une aberration, même pas un exemple, mais simplement
un Français, qui vaut tous les autres, si les autres, sur un terrain, ne
le valent pas. Rien d’autre. Nos joueurs, noirs ou blancs de peau, Nougaro, sont d’ici. Ils sont français et donc plein de choses ensemble.
Français, et en même temps tout le reste
Matuidi
est français et originaire de l’Angola déchiré et du Congo qui fut le
refuge des siens avant l’Europe et sa naissance, il est français et
aussi chrétien, profondément, re-born, et en fait des signes de croix qui agacent telle inquisitrice de la laïcité
dont on dit souvent du bien dans les anciennes gauches, et qui doit s’y
faire, tant ces Français parfois aiment Dieu et le disent tels des
footballeurs brésiliens.
Kanté est français et modeste et un gars sûr, et bien que noir, n’est pas un de ces «grands blacks» qui, disait-on, risquaient d’uniformiser notre football. Giroud est français et il est chrétien, un psaume en latin tatoué sur un avant-bras: «Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien».
Pogba est musulman et français et flamboyant de mots. Griezmann est
français et allume des cierges et boit son maté comme un Uruguayen.
N’Golo est français et d’une modestie de vieux sage.
On
est tant de choses, voyez-vous. On est français, et en même temps, il
reste, ceci posé, tout ce que l’on est, ce que nos ancêtres furent, ce
que serons nos enfants, ce que nous goûtons. les Américains, qui ne sont
pas ballots comme un Trevor Noah quand ils parlent d’eux-mêmes, le
savent suffisamment. Ils ne croient pas, les États-Uniens, que Rocky
Marciano punchait ou que Joe Di Maggio pitchait pour l’Italie, et ne
renvoient ni à l’Afrique ni à la longue histoires des enfants d’esclaves
les triomphes de telle dream team du basket. Ils savent, les
Américains, que l’on est des États-Unis d’abord et tout le reste avec.
Il sait, Obama, en véritablement américain, que nous sommes à cette
image baroque et que la France n’est plus les Gaulois.
Français, et en même temps tout le reste. Le mieux-aimé de l’équipe de France, Adil Rami, l’a dit bonnement. «Je
suis français d’origine marocaine, et aujourd’hui on est champions du
monde, mais je suis aussi marocain et je suis fier de ce que le Maroc a
pu montrer pendant cette Coupe du monde. Aujourd’hui c’est la France, la
diversité, il y a eu des Algériens, il y a eu des Africains, des
Congolais, il y a eu de tout, on est beaucoup, et c’est ça le charme de
la France.»
Nous serons métissés et heureux depuis belle lurette que la monarchie sera encore à abolir
Il a dit «le charme», Adil Rami, et cet homme sait les mots, tant le charme est notre plus vieille vertu. Il a dit «le charme», Adil Rami, et a parlé des origines, et ce rappel, qui agaçait tant son coéquipier Mendy
avait, chez lui, un goût de liberté; non pas l’assignation mais la
vérité de chacun. Est-on plus français qu’Adil Rami, french lover aux
moustaches belle époque, est-on plus français qu’Adil Rami qui est aussi
marocain? Ainsi est le pays. Français, et en même temps, comme chacun
peut.
«En même temps»,
comme disait cet homme qui voulait marier les contraires quand il
n’était pas encore président. Cet homme qui entre autres qualités n’a
pas de préjugés de race ni d’origine et aime tant la jeunesse qui
triomphe qu’il en fait son miroir. Cet homme qui a gardé en sa fête et
son palais nos héros jusqu’à plus d’heures, et ce furent belles agapes
et belles chansons entre un roi qui ne fait pas de différence entre les
meilleurs et les plus méritants de ses sujets, ces footballeurs et des
gamins d’avenir venus de leurs clubs d’enfance qui égayèrent l’Élysée du
prince-supporter Macron.
Pendant ce temps, une plèbe moins symbolique communiait avec les héros
sur quelques écrans, ou saluait, agglutinée sur les Champs-Élysées, un
bus rempli de Bleus qu’une fête attendait.
Ces
choses-là, le bon plaisir des cours, sont plus durables que nos fonds de
teints. Nous serons métissés et heureux depuis belle lurette que la
monarchie sera encore à abolir. De vrai, dans nos préjugés, dans nos
têtes. Ça ira, ça ira, depuis le temps. Français.
Claude Askolovitch — — mis à jour le 19 juillet 2018 à 17h59
http://www.slate.fr/
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