Au cours du discours d’ouverture du Président Poutine, le 24 juin, lors de la parade de Moscou célébrant le 75e anniversaire de la [victoire de, la NdT] Seconde Guerre mondiale, il a lancé l’appel à l’action suivant : « Nous comprenons combien il est important de renforcer l’amitié et la confiance entre les nations, et nous sommes ouverts au dialogue et à la coopération sur les questions les plus urgentes de l’agenda international. Parmi ces questions figure la création d’un système de sécurité commun fiable, dont le monde moderne complexe et en rapide évolution a besoin. Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons protéger le monde contre les nouvelles menaces dangereuses ».
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Cet appel fait écho à l’article important de Poutine publié le 19 juin dans le National Interest, dans lequel sont décrites en termes crus les puissances financières et aristocratiques hégémoniques à l’origine de la montée d’Hitler au lendemain de la Première Guerre mondiale, et la nécessité vitale d’honorer les millions de personnes qui sont mortes pour assurer la liberté et la survie des générations futures. Dans son article, Poutine a lancé un appel à une réunion d’urgence entre les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU ayant un droit de veto, appel qu’il a rendu public pour la première fois lors de son discours sur l’état de l’Union du 15 janvier 2020.
Bien que le respect pour le dirigeant russe soit très élevé, j’ai remarqué que la plupart des gens ont encore du mal à voir en quoi le concept de solution proposé par Poutine est tout sauf une fantaisie naïve.
Après tout, les relations entre la Russie et l’Amérique ne sont-elles pas au plus bas ? Les choses ne sont-elles pas encore pires entre les États-Unis et la Chine ? Comment quelque chose de bon pourrait-il venir d’une Amérique qui a agi comme une machine impériale décadente pendant des décennies ?
Bien que très compréhensible, cette incapacité à comprendre l’intention de Poutine est une chose que je voudrais aider à corriger dans ce bref article.
Pour réaffirmer ma position : Poutine n’est pas un idiot.
Poutine est un personnage animé d’un grand sens moral du devoir, qui lui a donné une vision à la fois de l’histoire et de l’avenir, ce qui est rare parmi les citoyens de notre époque, et encore plus rare au sein de la classe politique.
Poutine reconnaît également que le système néo-libéral occidental est au bord du précipice du pire effondrement financier de l’histoire et il sait aussi qu’un nouveau système sera, par nécessité, mis en place. Il est entendu que les termes de ce nouveau système doivent être concrétisés dès que possible si l’on veut éviter une nouvelle « solution » fasciste pure et dure ainsi que la guerre mondiale évidente qui s’ensuivrait bientôt.
Comme je l’ai exposé dans un récent papier, les bases de ce nouveau système d’exploitation seront enracinées soit dans le concept d’un système ouvert, soit dans celui d’un système fermé.
Les systèmes fermés en bref
Si le nouveau système de l’humanité est présumé être de nature fermée, alors je suis désolé de vous dire que le fascisme sera requis par l’élite en tant que mécanisme de gouvernement ultime.
La raison de ce fait décourageant est simple.
Dans tous les systèmes fermés – c’est-à-dire finis/limités – le nombre de personnes en vie aura toujours tendance à consommer plus d’énergie que le système lui-même n’en crée au fil du temps, le potentiel agricole est lentement réduit et l’entropie [pour faire bref : le désordre, le chaos, NdT] augmente.
Dans un tel monde, quelqu’un doit décider qui bénéficie des rendements toujours décroissants des ressources, et qui sont les consommateurs inutiles à sacrifier « pour le plus grand bien » du système. C’est dans ce monde hobbesien que vivent des misanthropes comme Thomas Malthus, T.H. Huxley, Henry Kissinger et Al Gore. À la manière de Pygmalion, ces cyniques utiliseront tout le poids politique à leur disposition pour forcer la société à adhérer à leur obsession de l’« équilibre », de l’« équilibre mathématique » et de la prévisibilité linéaire parfaite. Les « alphas » autoproclamés de ce genre de sociétés maître-esclave s’engagent à imposer à l’humanité les lois de la jungle qui font que la force fait le droit. Dans le monde fermé et non-créatif d’un tel misanthrope, le déséquilibre est considéré à la fois comme non naturel et maléfique. Le déséquilibre est sauvage. Il est imprévisible. Il est ouvert.
Au vu de leurs paroles et de leurs actes, Poutine, Xi et les autres dirigeants de l’alliance multipolaire actuelle ne pensent pas de cette façon.
Voir
https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Limites_%C3%A0_la_croissance, NdT
Les systèmes ouverts en bref
Pour illustrer brièvement mon propos, écoutez le président Xi décrire le principe fondamental de l’économie de système ouvert lors d’un discours prononcé en 2016 devant le Comité Central du PCC :
« Le développement coordonné consiste à maintenir l’harmonie entre un développement équilibré et un développement déséquilibré. Le processus qui va de l’équilibre au déséquilibre, puis au rééquilibrage, est la loi fondamentale du développement. L’équilibre est relatif alors que le déséquilibre est absolu. Mettre l’accent sur le développement coordonné, ce n’est pas poursuivre l’égalitarisme, mais donner plus d’importance à l’égalité des chances et à l’allocation équilibrée des ressources ».
En qualifiant le déséquilibre de facteur absolu et l’équilibre de simple facteur relatif, Xi définit un processus de progrès fondé sur des sauts créatifs, chaque système à l’échelon supérieur exigeant un équilibre/une répartition raisonnable de l’utilisation des ressources, mais sans jamais devenir dépendant de cet ensemble particulier de ressources limitées.
Poutine a exprimé sa compréhension de ce principe à sa manière lorsqu’il a discuté de l’importance d’une énergie illimitée et du potentiel de croissance réalisable grâce à l’exploitation de la puissance de fusion :
« Nous pouvons potentiellement exploiter une source d’énergie colossale, inépuisable et sûre. Toutefois, nous ne réussirons à exploiter l’énergie de fusion et à résoudre d’autres tâches fondamentales que si nous établissons une large coopération internationale et une interaction entre les gouvernements et les entreprises, et si nous unissons les efforts de chercheurs représentant différentes écoles et domaines scientifiques. Si le développement technologique devient véritablement mondial, il ne sera pas divisé ou freiné par des tentatives de monopoliser le progrès, de limiter l’accès à l’éducation et de dresser de nouveaux obstacles au libre échange des connaissances et des idées… Avec leur aide, les scientifiques pourront littéralement voir les processus de création de la nature ».
Des programmes comme l’initiative chinoise « Belt and Road » – et ses extensions dans les domaines de l’espace, des pôles, de la santé et de l’information – ont non seulement gagné plus de 135 nations à leur perspective, mais ce programme est entièrement ancré dans la pensée d’un système ouvert. Dans le système d’exploitation de ce cadre, il n’y a pas de limite fixe présumée aux ressources ou de point d’arrivée des progrès que les nations peuvent créer si certains principes sont respectés.
Au cœur de ces principes vitaux se trouve le concept moral de « coopération gagnant-gagnant » ou, comme l’a dit l’ancien Président chinois Sun Yat-Sen dans ses « Three Principles of the People », le principe du « droit fait la force ». Sun Yat-Sen a compris en 1924, comme les présidents Xi et Poutine aujourd’hui, que si une nation adhère à la pensée « gagnant-gagnant » et « le droit fait la force », alors cette nation ne perdra jamais le mandat du ciel – 天命 : Tiānmìng. Dans la matrice occidentale, ce principe est magnifiquement exprimé par le principe du traité de Westphalie qui a établi les premiers États-Nations modernes en 1648 sur la base du principe du « bénéfice mutuel ». Lorsque Kissinger, Brzezinski ou Blair parlent d’une « ère post-westphalienne », c’est à ce principe fondamental qu’ils s’attaquent, au-delà de la simple existence des frontières nationales.
Ce principe se retrouve dans la Charte des Nations Unies, qui a été conçue par le Président anti-colonialiste Franklin Delano Roosevelt :
« pour assurer la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, culturel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, et pour être un centre d’harmonisation des actions des nations dans la réalisation de ces buts communs ».
La mort prématurée de FDR et la prise de contrôle de l’Amérique par l’Empire britannique agonisant ont empêché la réalisation de ces idéaux et à la dynamique du système ouvert de prendre racine.
Tant que les nations seront capables de se débrouiller seules, de développer des économies agro-industrielles à large spectre, que les gens bénéficieront du développement de nouvelles compétences, que les nouvelles technologies et les nouvelles découvertes scientifiques seront encouragées plutôt que sabotées – comme cela a été le cas avec les lois darwiniennes de « la force fait le droit » – le potentiel de perfectibilité humaine sera aussi illimité que notre capacité à découvrir, créer, planifier et inspirer les générations futures.
Quelques centres d’intérêt mutuel
Il existe maintenant un ensemble de domaines sur lesquels toutes les nations du Conseil de sécurité de l’ONU peuvent se concentrer pendant cette période de crise intense, et qui lierait les intérêts de la civilisation dans un concept de système ouvert bénéficiant à toutes les nations et à tous les peuples. Si les États-Unis ont, ne serait-ce qu’un minimum de bon sens à un stade aussi avancé, alors Trump virera Pompeo et d’autres néo-conservateurs comme il a viré Bolton et Bannon, et fera de l’offre de Poutine une priorité absolue pour la survie même des États-Unis en tant que nation, et de l’humanité en général.
Pour conclure, je souhaite présenter quelque uns des sujets les plus constructifs qui seront abordés lors des prochains sommets, et qui définiront le mieux le siècle à venir – ou plus – qui sera celui de la coopération et de la croissance :
La diplomatie spatiale, la défense contre les astéroïdes, le développement de l’Arctique et de l’Extrême-Orient, l’énergie et les infrastructures de santé.
Diplomatie spatiale
Le retour réussi des États-Unis dans le domaine des vols spatiaux habités le 28 mai dernier n’était pas un simple lancement spatial de plus, mais plutôt un élément important d’un engagement beaucoup plus vaste illustré par les accords Artemis du 15 mai, visant non seulement à renvoyer des êtres humains sur la Lune pour la première fois depuis 1973, mais aussi à développer en permanence une économie lunaire et martienne axée sur la coopération internationale. Cette perspective s’inscrit dans le cadre de l’engagement de la Russie en faveur d’une colonisation lunaire permanente et du développement des ressources, qui débutera avec Luna 25 en 2021, suivie de Luna 26, 27 et 28 peu après, avec le but de disposer d’une base humaine permanente au début de 2030. Décrivant le soutien de la Russie à cette initiative, le chef du Roscosmos, Dimitry Rogozine, a déclaré « Je peux imaginer le sentiment qu’ils ont eu [les US] pendant toutes ces neuf années, n’ayant pas eu la possibilité d’envoyer eux-mêmes leurs astronautes dans l’ISS. C’est une question d’honneur et de fierté nationale. Souhaitons-leur une réussite professionnelle ». Les États-Unis et la Russie sont également des partenaires proches du programme ISS, et la Russie fabrique les moteurs stratégiques RD-180 et RD-181 utilisés dans les lanceurs américains.
Les États-Unis et la Russie sont tous deux partenaires sur la prochaine station Lunar Gateway qui sera bientôt en orbite autour de la Lune et qui servira d’élément important dans la nouvelle infrastructure spatiale utilisée à la fois pour l’exploitation minière et les lancements sur Mars. Bien qu’elle soit interdite d’accès à l’ISS et de coopération avec les États-Unis depuis 2011, la Chine est devenue une pionnière dans le domaine spatial grâce à une alliance étroite avec la Russie sur la coopération lunaire signée en septembre 2019. Le programme chinois Chang-e a permis d’alunir sur la face cachée, avec des plans de colonisation pour les décennies à venir, ainsi que le développement de l’exploitation minière de l’hélium 3 pour l’énergie de fusion.
Défense contre les astéroïdes
Face à la double menace de l’encerclement militaire de l’OTAN sur terre et des collisions d’astéroïdes depuis l’espace, Rogozine a fait la une des journaux en 2011 en relançant le concept d’un système de défense conjoint contrôlé par les États-Unis et la Russie, d’abord annoncé par l’Initiative de Défense Stratégique du Président Reagan en 1983. La version 2011 de Rogozine, intitulée « Défense Stratégique de la Terre », appelle désormais à détourner l’arsenal d’armes atomiques de l’humanité des uns vers les autres et le diriger vers le grave danger de collisions d’astéroïdes auquel nous sommes terriblement mal préparés. L’introduction de ce sujet dans les nouveaux groupes de travail conjoints États-Unis/Russie sur le contrôle des armements, qui doivent commencer à la mi-juillet, contribuerait de manière non pré-déterminée et volontariste à ce qu’aucun standard de mesure existant ne puisse être utilisé [autrement dit, faudra inventer ! NdT]. Cette vision a été reprise par la Chine ainsi que par les agences spatiales européenne et japonaise.
Développement de l’Arctique et de l’Extrême-Orient
En 2007, la Russie a relancé une idée vieille de 150 ans qui avait jadis reçu le soutien des principaux Républicains de l’Amérique du XIXe siècle de Lincoln, à savoir raccorder les lignes ferroviaires d’Amérique et d’Eurasie par le passage du détroit de Béring sous la forme d’un tunnel de 100 km. La Russie a de nouveau souligné son engagement à construire ce projet de 64 milliards de dollars en 2011. La Route de la Soie polaire de la Chine ayant prolongé le couloir de développement traditionnellement est-ouest dans l’Arctique d’une part, la Chine et la Russie ayant de plus en plus fusionné l’initiative « Belt and Road » avec l’Union économique eurasienne d’autre part, cette nouvelle dynamique de développement offre des opportunités économiques incroyables pour toutes les nations arctiques et permet également d’éviter la confrontation militaire.
Le plan de développement de Poutine pour l’Extrême-Orient
Les plans de développement du président Poutine pour l’Extrême-Orient font partie intégrante de cette initiative et constituent une « priorité nationale du 21e siècle » pour la Russie. Le développement de nouvelles villes, de mines, de corridors de transport, de pétrole et de gaz naturel en Extrême-Orient russe représente l’un des plus grands atouts pour l’investissement économique au cours du siècle à venir et compte déjà de nombreux partenaires en Chine, au Japon, en Corée du Sud, en Inde et dans d’autres pays de l’APEC. La proposition de M. Poutine de 2018, demandant aux États-Unis de se joindre à ce projet de coopération gagnant-gagnant, est importante non seulement parce qu’elle permettrait d’établir la confiance, de créer des opportunités commerciales et de rétablir l’art perdu de la prospective à long terme, mais aussi parce qu’elle contribuerait à associer les entreprises occidentales au processus de développement de l’Asie-Pacifique, actuellement façonné par l’initiative chinoise « Belt and Road ». Bien que la coopération directe entre la Chine et l’Inde dans le cadre de l’Initiative Belt and Road soit victime d’un schisme du fait des tensions actuelles, l’adhésion de l’Inde aux investissements russes dans le développement de l’Extrême-Orient a créé une opportunité qui peut contribuer à mettre ces deux géants asiatiques en harmonie.
Seulement la partie visible de l’iceberg…
Dans l’ensemble, il existe de nombreux autres points d’intérêt commun pour les nations engagées dans un avenir de « système ouvert » multipolaire, notamment l’éducation, les échanges culturels, la recherche sur l’énergie de fusion, la lutte contre le terrorisme et la coordination des réponses à la COVID-19. Sur cette dernière menace, la question d’un nouveau système de santé mondial est devenue un sujet de discussion de plus en plus important, en particulier à l’heure où les nations se tournent vers l’ordre mondial post-pandémique.
Dans ce contexte, la Russie, la Chine et les États-Unis peuvent jouer un rôle de premier plan pour garantir une structure moderne et équitable en matière de soins de santé pour les pays en développement qui se sont trouvés si vulnérables face à la menace de pandémie mondiale. L’Afrique, l’Amérique du Sud, l’Asie et au-delà ont besoin de services de santé, d’hôpitaux, de formation et de technologies médicales largement améliorés, dignes du XXIe siècle. Plus important encore, le monde a besoin de systèmes préventifs tels que l’assainissement, l’eau potable, la souveraineté alimentaire et l’électricité si l’on veut que la COVID-19 et toutes les menaces futures pour la santé mondiale soient résolues une fois pour toutes.
Si la Russie, l’Amérique, la Chine et d’autres nations du Conseil de sécurité des Nations unies et du BRICS utilisaient leurs meilleurs savants à la résolution de ces problèmes plutôt que de se lancer dans une nouvelle course aux armements, non seulement l’un ou l’autre de ces pays en tirerait un immense bénéfice, mais l’humanité dans son ensemble en bénéficierait également.
Les rameaux d’olivier de Poutine se sont empilés ces dernières années et rien n’indique qu’il ait l’intention d’être la cause de la répétition de l’histoire par la guerre, et, si nous sommes intelligents, alors nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que cette discussion ait lieu, mais aussi surtout que l’économie de système ouvert prévale.
Par Matthew Ehret − Le 7 juillet 2020 − Source Strategic Culture
Poutine, l'incontournable patron de la Russie
MOSCOU — Après plus de 18 ans de pouvoir, Vladimir Poutine symbolise le retour de la Russie sur le devant de la scène internationale, au prix de tensions sans précédent avec les Occidentaux et d’un net recul des droits de l’homme.
M. Poutine, qui doit être investi lundi pour un quatrième mandat présidentiel après avoir largement remporté l’élection du 18 mars avec plus de 76% des voix, garde donc les clés du Kremlin jusqu’en 2024, année de ses 72 ans.
Ex-officier du KGB, Vladimir Poutine est arrivé en 2000, succédant à Boris Eltsine à la tête d’un pays au pouvoir instable et à l’économie défaillante. Loué par nombre de ses concitoyens pour avoir été l’homme de la stabilité et d’une nouvelle prospérité, grâce à une manne pétrolière conséquente, il est vilipendé par ses détracteurs pour un net recul des droits de l’homme et des libertés.
Sur la scène internationale, celui qui avait qualifié la disparition de l’Union soviétique de «plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle» s’est employé à restaurer l’influence de la Russie dans le monde, mise à mal après la chute de l’URSS et les années chaotiques du règne de Boris Eltsine.
Sa méthode? Une lutte patiente et obstinée, à l’affût de signes de faiblesse de l’adversaire, expliquait en 2013 ce huitième dan de judo, répondant à un Russe qui lui demandait de tout faire pour enfin «rattraper et dépasser» l’Amérique, un vieux slogan de l’époque soviétique.
Une technique appliquée avec succès en Syrie, où l’intervention militaire de la Russie depuis 2015 en soutien au régime de Damas a changé le cours de la guerre et permis au président Bachar Al-Assad de rester au pouvoir, au grand dam d’Occidentaux quelque peu dépassés.
L’année précédente, Vladimir Poutine avait endossé les habits de restaurateur de la «grande Russie» en annexant la péninsule ukrainienne de Crimée, après une intervention des forces spéciales russes suivie quelques jours plus tard d’un référendum de rattachement jugé illégal par Kiev et les Occidentaux.
Cette opération a accru son prestige à domicile, mais elle a déclenché la pire crise depuis la fin de la Guerre froide entre Russes et Occidentaux, qui accusent en outre Moscou de soutenir militairement une rébellion séparatiste dans l’est de l’Ukraine, ce que le Kremlin dément.
Aux tensions sur la Syrie et l’Ukraine se sont ajoutées à partir de l’élection de Donald Trump aux États-Unis des accusations d’ingérence dans la présidentielle américaine, et plus récemment, une crise sans précédent avec Londres après l’empoisonnement d’un ex-espion russe réfugié en Angleterre.
Passionné de sport, le président russe a aussi cherché à imposer son pays, qui accueille cet été la Coupe du monde de football, comme une grande puissance sportive.
En 2014, la Russie avait organisé les Jeux olympiques d’hiver les plus chers de l’histoire dans la station balnéaire de Sotchi, au bord de la mer Noire. Mais les rêves du Kremlin sont assombris par des accusations de dopage institutionnalisé — qu’il rejette — depuis la sortie du rapport McLaren en 2016.
«Frapper le premier»
Né le 7 octobre 1952 dans une famille ouvrière qui occupait une pièce d’un appartement communautaire à Leningrad (Saint-Pétersbourg), Vladimir Poutine n’était en rien prédisposé aux ors du Kremlin.
«Je viens d’une famille modeste, j’ai vécu très longtemps cette vie», raconte-t-il sur un site Internet dédié à sa biographie. De cette jeunesse dans les rues de Leningrad, il déclara en 2015 avoir appris une chose: «Si le combat est inévitable, il faut frapper le premier.»
Diplômé de droit, il entre au KGB, dont il devient un agent du renseignement extérieur. Il sera envoyé en mission de 1985 à 1990 à Dresde, en Allemagne de l’Est, un poste plutôt modeste.
Après le délitement de l’URSS, l’agent du KGB se recycle en conseiller aux relations extérieures du nouveau maire libéral de Saint-Pétersbourg, puis entame une ascension fulgurante.
En 1996, il est appelé à Moscou pour travailler au Kremlin. Nommé en 1998 à la tête du FSB, successeur du KGB, il est désigné un an plus tard premier ministre par le président Boris Eltsine, à la recherche d’un successeur capable de garantir sa sécurité après sa retraite.
Eltsine et son entourage avaient été séduits par la discrétion et l’efficacité de cet homme au front dégarni et au regard perçant. Certains proches de Eltsine pensent alors pouvoir le manipuler facilement, mais Vladimir Poutine entreprend de rebâtir l’autorité de l’État en formant une «verticale du pouvoir» dépendant de lui seul.
Cultivant déjà l’image d’un dur, en octobre 1999, à la suite d’une vague d’attentats, il engage la deuxième guerre de Tchétchénie, un conflit sanglant marqué par des exactions de l’armée russe et le bombardement aveugle de Grozny.
Cette guerre sera le fondement de sa popularité en Russie et à l’origine de son image d’homme à poigne.
Lorsque Boris Eltsine démissionne fin 1999 et désigne son premier ministre pour lui succéder, Vladimir Poutine s’est déjà imposé comme le nouvel homme fort du pays.
Élu facilement en 2000, M. Poutine accélère sa prise en main du pouvoir en s’appuyant sur les «structures de force» (services secrets, police, armée) et sur ses proches de Saint-Pétersbourg.
Contestation
Il fait rapidement rentrer dans le rang les «oligarques», ces hommes d’affaires qui ont fait fortune en profitant des privatisations opaques des années 1990, les exclut du jeu politique et emprisonne les récalcitrants, comme le patron du groupe pétrolier Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, gracié en 2013 après 10 ans de prison.
Le Kremlin met aussi au pas les chaînes télévisées, dont la liberté de ton héritée des années 90 dérange. Désormais, le petit écran est au service de Vladimir Poutine.
En 2008, limité à deux mandats consécutifs par la Constitution, M. Poutine confie le Kremlin pour quatre ans à son premier ministre Dmitri Medvedev, et prend la tête du gouvernement.
L’annonce fin 2011 de son intention de revenir à la présidence pour un nouveau mandat, porté à six ans, suscite une vague inédite de contestation dans la rue.
La mobilisation retombera cependant après sa réélection facile au printemps 2012, suivie d’un nouveau tour de vis sur la société russe, l’adoption de lois jugées liberticides par l’opposition et une répression accrue de toute forme de contestation.
Extrêmement discret sur sa vie privée, Vladimir Poutine, père de deux filles et divorcé depuis 2013, aime se donner l’image d’un homme aux goûts simples, menant «une vie ordinaire» et aimant «les romans historiques et la musique classique».
Il n’hésite pas à se mettre en scène, effectuant des démonstrations de judo, galopant à cheval torse nu dans la taïga ou éteignant un incendie aux commandes d’un avion bombardier d’eau.
QUELS SCÉNARIOS POUR POUTINE EN 2024?
En 2024, au terme de son quatrième mandat, Vladimir Poutine aura dirigé la Russie pendant un quart de siècle et sera septuagénaire. Prendra-t-il sa retraite? Cherchera-t-il à rester au pouvoir?
Dans un pays qui n’a jamais connu d’alternance politique normale, la question de la fin de sa carrière et de la désignation d’un éventuel successeur ne s’est jamais autant posée qu’au début de ce quatrième mandat. Voici quelques scénarios possibles pour 2024.
Départ
Sauf réforme constitutionnelle, Vladimir Poutine ne pourra pas être à nouveau candidat en 2024: la Constitution russe interdit de briguer plus de deux mandats consécutifs.
En 2024, il fêtera ses 72 ans et pourrait alors décider de quitter le Kremlin après 24 ans au pouvoir.
Dans un entretien avec la chaîne de télévision américaine NBC, Vladimir Poutine a dit avoir songé à un potentiel successeur dès 2000: «Cela ne fait pas de mal d’y penser, mais en fin de compte, c’est le peuple russe qui décidera», a-t-il déclaré.
Mais pour l’instant, le président russe s’est bien gardé de donner la moindre indication sur la personne à qui il pense éventuellement pour prendre sa succession.
En 2008, Vladimir Poutine, qui ne pouvait se représenter après deux mandats consécutifs, avait laissé sa place à son actuel premier ministre, Dmitri Medvedev, avant de revenir au Kremlin en 2012, ce qui ne fait pas pour autant de ce dernier un dauphin en puissance.
La vie politique russe est marquée par une lutte feutrée entre deux clans rivaux, les «siloviki», issus de l’armée et des services de sécurité, et les représentants d’une mouvance plus libérale liée aux milieux d’affaires.
«La lutte est déjà en cours», assure à l’AFP l’analyste indépendant Nikolaï Petrov, ajoutant que «personne ne va attendre passivement, chaque groupe va tenter de promouvoir ses intérêts.»
Le président ne partira pas sans avoir désigné de successeur, assure M. Petrov.
Alternance
S’il souhaite rester au pouvoir, Vladimir Poutine pourrait être tenté de reproduire le scénario de 2008, lorsqu’il avait propulsé à la présidence Dmitri Medvedev et était devenu premier ministre pendant quatre ans tout en gardant la main sur les domaines clés du pays.
Il pourrait renoncer à ce scénario en raison de son âge: en 2030, quand un retour au Kremlin se ferait dans le respect de la Constitution, il aura 78 ans.
Interrogé par un journaliste au soir de sa victoire en mars dernier sur un éventuel nouveau mandat en 2030, Vladimir Poutine a semblé écarter une telle hypothèse: «Vous devez plaisanter! Qu’est-ce je dois faire? Rester ici jusqu’à mes 100 ans? Non».
Présidence à vie
Bénéficiant d’une forte popularité, omniprésent dans les médias russes, Vladimir Poutine a bâti l’autorité de l’État en formant une «verticale du pouvoir» dépendant de lui seul.
Il a cependant démenti vouloir s’accrocher au pouvoir lors d’un entretien avec la chaîne américaine NBC, diffusé le 9 mars.
«Je n’ai jamais modifié la Constitution [...] et je n’ai aucune intention de faire ce genre de choses aujourd’hui», a-t-il déclaré.
Vladimir Poutine a ainsi laissé entendre qu’il n’envisageait pas de régner indéfiniment et de suivre l’exemple du président chinois Xi Jinping, qui a obtenu la suppression de la limitation du nombre des mandats présidentiels.
Interrogé par l’AFP, l’analyste Dmitri Orechkine reste sceptique: «Je ne crois pas qu’il refusera le pouvoir en 2024, même s’il en a vraiment assez». «Il ne peut pas partir parce qu’il ne croit pas que qui que ce soit pourra alors le protéger.»
Par Thibaut Marchand et Anaïs Llobet; Agence France-Presse
ليت للععرب المعاصرين زعيم مثله
RépondreSupprimerhélas... si les arabes contemporains ont eu un tel leader