En cet auguste mois, la
journaloperie a trouvé son feuilleton de l'été. Une vraie saga, avec
empoisonnement raté et opposant ciblé par le terrible Poutine [1], mais qui peut quand même tranquillement
partir à l'étranger se faire soigner, et dont la guérison miraculeuse rendrait
jaloux le sanctuaire de Lourdes. Le scénario est quelque peu bancal mais nos plumitifs ne sont plus à
ça près...
Derrière cette mascarade,
évidemment, la pression impériale pour renouveler/durcir les sanctions euronouilliques à l'égard de
Moscou, notamment à un moment charnière pour le Nord Stream II. Frau Milka a bien vu la
manœuvre et veut absolument découpler les deux événements : la gazoduc
n'a rien à voir avec le blogueur, meine
Herren, qu'on se le dise.
Sur le terrain, les infos sont un
peu contradictoires. Certains journaux ont annoncé triomphalement, et sans doute un
peu vite, l'arrêt temporaire des travaux. En réalité, le consortium est en
train de soumettre au gouvernement danois le plan de
travail mis à jour et il serait pourrait même que, pendant ce temps, le
chantier continue de manière plus ou moins
clandestine. Nous en saurons plus sous peu...
A l'autre bout de l'Eurasie, le Sila Sibirii II commence
doucettement à se préciser. Nous en avions parlé en mai :
Le
monde de l'énergie commence à s'agiter alors que le colossal gazoduc sibérien,
Sila Sibirii II pour les intimes, se précise. Les articles se multiplient dans
les revues spécialisées (ici, ici ou ici) car Gazprom vient de passer la
vitesse supérieure en engageant les études de conception et de prospection. Le
fidèle lecteur de nos Chroniques avait eu l'info en avant-première il y a presque
deux mois :
Le
patron de Gazprom a rencontré Poutine et annoncé qu'une première étude de
faisabilité avait été menée et s'était révélée concluante. La compagnie va
maintenant engager des analyses plus poussées et le tube semble dans les
tuyaux, même s'il faudra évidemment attendre la signature d'un contrat avec
Pékin. D'une capacité finale de 50 Mds de m3 annuels, il devrait
vraisemblablement passer par la Mongolie. et non la chaîne montagneuse de
l'Altaï, ce qui lui fera perdre son joli nom pour celui, plus classique, de
Sila Sibiri II.
La
visite de Poutine, que nous avions évoquée en septembre dernier, n'est
peut-être pas étrangère à l'inclusion de la Mongolie dans le projet :
Sur
le chemin [de Vladivostok], Vladimirovitch s'est arrêté à Oulan Bator et en a
profité pour renvoyer les petits génies de Washington à leurs chères études. En
réponse aux hypothétiques et quelque peu irréelles tentatives
américaines de
gagner les faveurs de la Mongolie afin d'enfoncer un coin entre la Russie et la
Chine, un traité d'amitié perpétuel a été signé entre l'ours et le pays de Gengis
Khan. Pompeo et Bolton peuvent ranger leurs affaires...
Un
think tank énergétique britannique a longuement analysé la nouvelle route et en conclut que
le projet fait encore plus sens. Au lieu d'entrer à l'extrême-Ouest de la
Chine, à 3 200 km de Pékin, le nouveau tracé ferait arriver le tube à 560 km,
tout près de son foyer de consommation potentiel. De quoi convaincre plus
facilement le rusé dragon qui, s'il est proche allié de Moscou, n'en demeure
pas moins un rude négociateur.
En
passant, la Mongolie, dont la capitale est asphyxiée par les mines de charbon,
pourra être approvisionnée en or bleu bien moins polluant et redonner ainsi un
peu d'air à ses belles steppes.
Mais
surtout, joyaux stratégique, ce deuxième pipeline est de la plus haute
importance. Il est le chaînon manquant connectant enfin les deux pôles
énergétiques du Heartland russe, la Sibérie occidentale qui écoule ses
richesses vers l'Europe et la Sibérie orientale tournée vers l'Extrême-Orient.
A
terme, un gaz circulant librement d'une partie à l'autre du continent-monde,
intégrant énergétiquement l'Eurasie dans des proportions jamais vues, pour le
plus grand malheur de qui vous savez...[2]
Gazprom a de la suite dans les
idées. Le géant russe et la Mongolie, qui commencent à plancher sérieusement sur la question, ont
signé un mémorandum afin de mettre sur pied une compagnie chargée d'étudier la
faisabilité du projet, celui-ci ne devant d'ailleurs poser aucun problème
logistique. A terme, ce sont 50 Mds de m3 de gaz
supplémentaires qui devraient passer du Heartland
russe au Rimland chinois,
intégrant énergétiquement encore un peu plus les deux bêtes noires de l'empire.
Puisque l'on parle d'or bleu, un
petit commentaire sur les "fabuleuses découvertes" du sultan et, plus
généralement, les explications vaseuses tentant d'analyser l'impérialisme turc en Méditerranée orientale
par le prisme de l'énergie. Nous avons déjà expliqué à maintes reprises que ces réserves
sont relativement anecdotiques :
Les
concurrents sont illusoires et ce n'est certainement pas la chimère du gaz
israélien qui risque de déranger l'ours. Que n'avait-on entendu sur le bassin
oriental de la Méditerranée ? "Découverte historique, Réserves
extraordinaires, Changer la donne géopolitique"... Ces absurdités
sensationnalistes, typiques de la basse-cour médiatique inculte mais également
reprises, avec effroi, par une certaine presse alternative qui a tendance à
voir partout la main d'Israël, ne méritaient pourtant pas autant d'attention.
Cela aussi, nous
l'expliquions
il y a bien longtemps :
Ca
gaze pour Moscou. Et ce n'est pas une "trouvaille" de dernière minute
qui empêchera le tsar des hydrocarbures de dormir. Une délégation européenne a
en effet rendu une petite visite à Israël pour discuter la construction d'un éventuel
pipeline Israël-Chypre-Grèce susceptible de fournir du gaz à partir de
Léviathan (...)
Les
réserves ont été revues à la
baisse (500 Mds
de m3 au lieu de 620 Mds), ce qui explique peut-être le soudain désintérêt de
Gazprom, et ces
quantités sont de toute façon bien faibles pour alimenter aussi bien la
consommation domestique israélienne et l'exportation vers l'Europe. Pour donner
un ordre de grandeur, les réserves totales de Léviathan sont cinquante-deux
fois moins importantes que celles de Yamal et équivalent à ce que transporte le
Nord Stream pendant dix petites années.
Dans
ces conditions, construire un gazoduc sous-marin long de 1.300 km passant
au-dessus d'une faille géologique pour transporter une douzaine de malheureux
Mds de m3 paraît pour le moins alambiqué.
Votre
serviteur est maintenant rejoint dans son analyse par Foreign Policy, rien que
ça. Dans un article
remarqué, la
revue se pose la question de savoir si, en réalité, un seul mètre cube sera
exporté en Europe au vu des coûts énormes du projet et des réserves somme toute
modestes. Que quelques malheureuses gouttes de gaz israélien atteignent
finalement l'Europe ou pas ne changera de toute façon strictement rien à
l'échiquier énergétique.
Quelque peu à l'arrêt en Libye et en
Syrie, en grosse difficulté économique, le sultan avait besoin d'une annonce. La semaine dernière, avec force
roulement de tambour, il a claironné la découverte de "gigantesques"
réserves de gaz en Mer noire. Il n'en fallait pas plus pour que tout ce que la
médiatitude officielle ou alternative compte d'incultes se joigne au chœur, parlant sans rire de "géant régional
de l'énergie".
En réalité, la découverte
"sensationnelle" se résume à 320 malheureux Mds de m3.
Pour mémoire, les réserves gazières de l'Iran ou du Qatar, vrais géants
régionaux, eux, tournent autour de 30.000 Mds de m3, soit cent fois
plus. Pour Ankara, la nouvelle est certes appréciable, permettant d'aller vers
une plus grande
autonomie
énergétique durant une quinzaine d'années, mais nous sommes très loin du game changer
géopolitique proclamé ici ou là.
Les frictions en Méditerranée
orientale, dues au néo-impérialisme turc, ne s'expliquent pas non plus par l'or
bleu de son sous-sol, relativement modeste comme vu plus haut, ou seulement
dans un second temps. Il s'agit principalement du vieux fond irrédentiste ottoman,
qui s'applique aussi bien à Chypre (depuis 1974, bien avant qu'on ne parle de
gaz) qu'en Syrie
septentrionale ou,
depuis peu, en Libye.
Nous
en sommes encore loin. D'abord, malgré la révolte qui gagne des secteurs grandissants de la
société, il n'est pas du tout sûr que Loukachenko, qui a verrouillé l'Etat depuis
fort longtemps, tombe. Les manifestations, malgré la présence d'agents provocateurs et, plus généralement, les manigances impériales, restent relativement
modestes par rapport à ce que l'on a connu ailleurs.
Un
scénario à l'ukrainienne est peu probable. Contrairement à son voisin
méridional, la Biélorussie est homogène ; la population y est très
majoritairement russophone et russophile, et un ralliement au camp autoproclamé
du Bien semble exclu. De plus, les liens économiques avec l'ours sont
inextricables ; les couper serait un véritable suicide.
Pour
l'instant, Moscou et Washington semblent d'ailleurs voir le verre de vodka à
moitié plein : avec Loukachenko à sa tête, la Biélorussie est un épouvantail
pour l'OTAN tout en refusant d'être intégrée à la Russie. Les duettistes du
Grand jeu se regardent en chiens de faïence, guettant le mouvement de l'autre,
ce qui pourrait ironiquement perpétuer le status quo. Chacun semble en
fait déjà préparer l'après-Loukachenko (...)
Quant
à l'idiot du village, qui a réussi le tour de force de se mettre littéralement
tout le monde à dos, y compris son allié russe, il devrait, sauf surprise,
pouvoir terminer son sixième mandat de président. Une victoire à la Pyrrhus qui
ne trompe guère les
observateurs.
Si les manœuvres engagées par les grands lui donnent un répit provisoire, ils
semblent être décidés à passer à autre chose et préparent déjà, très en amont,
le futur politique de la Biélorussie. Rendez-vous en 2025 ?
L'opposition à Loukachenko ne
faiblit pas mais ne se renforce pas non plus et, jusqu'à présent, le pouvoir ne
vacille point. Pour le Kremlin, tout se déroule pour l'instant comme prévu :
Selon Vladimir Poutine, la situation
s’améliore en Biélorussie, et une intervention russe n’est pas nécessaire. Il a
appelé ce 27 août l’ensemble des acteurs biélorusses au bon sens pour
trouver une issue à la crise. Mais l’homme fort du Kremlin prévient qu'en cas
de besoin, il est prêt.
« Alexandre Grégoriévitch
[Loukachenko] m'a demandé de constituer une certaine réserve d'agents des
forces de l'ordre et je l'ai fait, a-t-il déclaré. Mais nous avons convenu
qu'elle ne serait pas utilisée sauf si la situation devient hors de contrôle et
que les éléments extrémistes (...) franchissent certaines barrières :
qu'ils mettent le feu à des voitures, des maisons, des banques, tentent de
saisir des bâtiments administratifs ».
L'idiot du village est affaibli mais
l'opposition est également relativement fragmentée. Et ce n'est pas le petit
flirt ambigu de Svetlana Tikhanovskaïa avec quelques représentants impériaux -
elle a rencontré Biegun, le n°2 du Département d'Etat, ainsi que l'inénarrable
BHL - qui va unifier cette opposition disparate, au contraire.
NB : pour ceux qui y verraient la
preuve que dame Svetlana est un agent de Washington, précisons que ces
rencontres n'ont rien eu de bien méchant. La visite de Biegun n'est pas un saut
de l'ange volant soudainement au secours d'une "révolution colorée" ;
elle était prévue et le bonhomme s'est d'abord rendu
à Moscou pour échanger avec Lavrov. Bref, nous sommes loin de Victoria Nuland
& co(okies)...
A ce propos, Zelensky a eu un
commentaire très curieux (et relativement agaçant pour certains) à propos des
événements biélorusses, assurant d'abord que Kiev n'interviendrait pas
mais enjoignant surtout l'opposition à ne pas
suivre l'exemple du Maïdan ! Aux dernières nouvelles, Joe Biden en a avalé sa
cravate de travers.
Restons en Ukraine où Saakachvili
refait des siennes. Le fidèle lecteur ne sera guère surpris, les frasques de l'ex-président
géorgien étant devenues proverbiales :
En
cette fatale dernière semaine de juin, la junte maïdanite allait d'ailleurs
boire le calice jusqu'à la lie. Et on ne sera pas tout à fait surpris de savoir
que c'est Micha qui, de nouveau, a mis les pieds dans le plat. Nous
annoncions son
retour il y a trois mois :
S'il
est quelqu'un qui, en tant que pion impérial, a participé à toutes les
vicissitudes du Grand jeu dans le pourtour russe ces dernières années, c'est
bien Mikhaïl Saakachvili.
Géorgien
arrivé au pouvoir par la révolution sorosienne de 2003, déclencheur de la
désastreuse (pour lui) guerre de 2008 qui a torpillé la marche de son pays vers
l'OTAN, ses nombreux abus le poussent finalement à se sauver du Caucase pour
gagner des cieux plus cléments. En 2014, il revient sous les projecteurs en
Ukraine, suite au putsch organisé par Washington. Mais là encore, la romance
tourne court [...]
Après
son expulsion définitive d'Ukraine, on pouvait se dire que le multi-fugitif
avait enfin compris et profiterait d'une retraire dorée dans quelque fac
américaine. Détrompez-vous, Micha est de retour !
A
la surprise générale, le néo-président ukrainien Zelensky vient en effet de lui
offrir le poste de vice-Premier ministre.
"Surprise" n'est pas un faible mot, car le retour de l'éléphant dans
le magasin de porcelaine risque de faire des vagues en tous sens.
Son
antagonisme avec Poutine est légendaire et l'on peut s'étonner du choix de
Zelensky. On sait que depuis son accession au pouvoir, celui-ci avait lentement
dégelé les relations avec Moscou. Le mois dernier, le
remaniement ministériel, voulu par lui, avait entraîné un torrent de
lamentations des officines impériales (ici ou ici) : trop pro-russe, pas assez
pro-occidental. La nomination du boutefeu géorgien vient maintenant brouiller
les pistes. A moins que ce soit un moyen de désamorcer l'opposition qui ne
manquera pas de pousser les hauts cris quand un plan
d'ouverture
vis-à-vis du Donbass sera officialisé ? L'avenir nous le dira.
Le
Kremlin est de toute façon bien moins embêté par cette promotion que ne l'est
le baby Deep State ukrainien au service de Washington. Si ce dernier partage
avec Saakachvili une même détestation de la Russie, d'insurmontables conflits
d'égo rendent la situation explosive. Ainsi avec Arsen Avakov, inamovible
ministre de l'Intérieur de la junte depuis le putsch de 2014 et conservé à son
poste par Zelensky. Une réunion officielle restée dans toutes les mémoires avait vu Micha le qualifier
ouvertement de "voleur" et Avakov lui répliquer en lui balançant un
verre d'eau au visage.
Les
prochains mois risquent d'être sportifs du côté de Kiev...
Bingo,
ça n'a pas traîné. Dans une interview à la télé, l'éléphant du Caucase a
médusé les russophobes, restés sans voix :
«
La Russie est largement devant l'Ukraine en terme de réformes. Les problèmes y
sont réglés bien plus vite et avec plus d'efficacité qu'ici (...) Les Russes
nous battent sur le front des réformes. » Et, histoire de bien remuer le
couteau dans la plaie : « L'Etat ukrainien n'existe pas. La société est divisée
en groupes et en clans, dirigés par des bureaucrates et leurs patrons. C'est
comme si, ici, les gens naissaient avec des puces électroniques leur assignant
d'entrée tel rôle au service de tel groupe. » Aux dernières nouvelles, Chocochenko
en a fait une jaunisse.
Au-delà
de l'anecdote, ces nouvelles semblent indiquer du côté de Kiev un profond
changement, presque intellectuel. La russophobie primaire, sport national de la
junte déchue, paraît ne plus être de mise, même chez un agité du bocal comme
Saakachvili.
Cette fois, Micha veut... revenir en Géorgie ! Soit il est fatigué de
la corruption endémique de son pays d'accueil (ce que laisseraient penser ses
commentaires désabusés du mois de juin), soit il veut retenter une aventure
personnelle dans son pays d'origine, où il est pourtant poursuivi et encourt
des années de prison. Y a-t-il une dimension géopolitique derrière ? Sans doute
pas. L'actuel gouvernement n'est pas spécialement connu pour sa russophilie et,
à tout prendre, un retour de Micha en Géorgie ajouterait une bonne dose de
chaos chez cet éternel (et éternellement recalé) candidat à l'OTAN.
Source : Chroniques du Grand Jeu
NOTES de
H. Genséric
Selon
Wikipédia, la loi de Godwin est une règle empirique énoncée en 1990 par Mike Godwin, d'abord relative au réseau Usenet, puis étendue à l'Internet :
« Plus une discussion en ligne dure,
plus la probabilité d'y trouver une comparaison
impliquant les nazis ou Adolf Hitler
s’approche de 1. »
La
loi de Godwin peut se généraliser de la manière suivante à la presse
mainstream et aux politiciens britanniques et américains :
« Pour tous les grands médias et les responsables
politiques américains et britanniques, il
existe un unique thème «le Kremlin», tel que, plus une discussion dure, plus
la probabilité que ce thème soit abordé tend vers 1. ».
Dans cette loi, que nous baptisons, Loi du Kremlin, le terme Kremlin inclut Vladimir Poutine, la
Russie, les robots Internet, les babouchka, les hackers , le Mossad, la CIA, la
NSA, le GRU, les poupées russes et d'autres entités plus ou moins connues.
Hannibal
GENSÉRIC
On ne comprend pas trop...
RépondreSupprimerHannibal, Faites passer l'appel des médecins et experts
RépondreSupprimerhttps://nicolasbonnal.wordpress.com/2020/08/30/mais-porter-un-masque-lorsquon-nest-pas-malade-et-pratiquer-la-distanciation-sociale-ca-ne-fait-pas-partie-de-lhygiene-ou-de-la-preservation-de-la-sante-publique-mais-c/