L'Arabie
saoudite et les Émirats Arabes Unis, alliés de plus en plus méfiants dans la
guerre contre le Yémen, sont sur le point de renforcer leur concurrence dans la
région de la mer Rouge et de la Corne de l'Afrique au point de devenir des «frères-ennemis»
au milieu des efforts des deux parties pour forger des coalitions différentes
dans cet espace stratégique traversé par la grande majorité des échanges
euro-asiatiques.
La
plupart des observateurs s'accordent pour dire que le retrait
militaire du Yémen prévu par les Émirats arabes unis a renforcé la
concurrence entre ce pays et ses alliés saoudiens dans la guerre, mais le fait
est que la dynamique générale de ces deux pays du CCG est devenue une rivalité
de l'un avec l'autre et a réellement commencé avec le début de cette campagne.
Les Émirats
ont mis à profit leur influence dans la Corne de l'Afrique pour établir une
base militaire en Érythrée, après quoi ils ont aidé à négocier une paix
historique entre ce pays et son voisin éthiopien. Cela a donné à Abou Dhabi une
profondeur stratégique dans le deuxième État le plus peuplé d’Afrique (l’Éthiopie)
et une économie en croissance rapide, qui est également le premier partenaire
de Beijing sur le continent et un futur exportateur prometteur de produits
agricoles à grande échelle dans le Golfe. Pendant ce temps, les EAU ont
également renforcé
leur contrôle militaire sur l’île de Socotra, au Yémen, à l’entrée du golfe
d’Aden, en plus de renforcer son influence dans la région séparatiste du
«Somaliland», ce qui l’a finalement fait devenir une puissance
transrégionale qui contrôle de facto de l'espace stratégique traversé par
la grande majorité des échanges euro-asiatiques.
Les
Saoudiens, quant à eux, sont sous le choc que leur «petit frère» les surpasse
en frappant bien au-dessus de son poids et en se comportant davantage comme une
plus grande puissance qu’ils ne le sont. Les ambitions régionales de Riyad ont
été contrecarrées par sa guerre
désastreuse contre le Yémen, alors que cette guerre était sensé catapulter l’Arabie
en une puissance mondiale. Pourtant, c’est cette même campagne militaire qui
est en train de concrétiser la vision exacte d’Abou Dhabi et de transformer
ainsi les deux alliés en ennemis féroces. Pour ne pas être en reste, les
Saoudiens ont tenté
de préserver leur influence régionale en tentant de forger une alliance de la
mer Rouge à la fin de l'année dernière entre elle-même, l'Égypte, Djibouti,
la Somalie, le Soudan, le Yémen et la Jordanie, mais cette tentative a échoué à
accomplir quoi que ce soit de tangible, à l'exception de l'exclusion manifeste
des alliés émiriens, de l'Érythrée, de l'Éthiopie et du «Somaliland», et de
prouver que l'initiative était destinée à contrecarrer l'influence régionale de
son partenaire. Au milieu de tout cela, le Yémen reste la pierre angulaire de
la controverse dans la compétition entre les saoudiens et les émiriens, et la situation
dans ce pays s'est récemment réchauffée.
L’aspect
cinétique (militaire) du conflit s’est en grande partie éteint après le
précédent bombardement apparemment interminable de la coalition contre des
cibles principalement civiles, mais l’aspect non cinétique (politique) n’a fait
que s’intensifier à son tour. Les EAU sont en train de se constituer un
protectorat de facto dans le Yémen du Sud, un État autrefois indépendant,
tandis que les Saoudiens n'ont pratiquement aucune influence dans le pays, malgré
le fait qu’ils aient dépensé des centaines de milliards de dollars pour tenter
de le maîtriser. Pire encore, le peu de pouvoir que les Saoudiens commandent
encore aux islamistes d'Islah est menacé après qu’une frappe de missile
stratégique par Ansar Allah lors d'un défilé militaire dans la ville d'Aden, au
Yémen du Sud, au début du mois, ait exacerbé les divergences entre les
coalitions entre le parti soutenu par les Émirats Arabes Unis et les indépendantistes
après que ces derniers ont accusé leurs partenaires de complicité dans
l'attaque. Au cours du week-end, le Conseil de transition du Sud (CTS) a réagi en
prenant le contrôle de la ville après s'être emparé de tous les camps
militaires et en occupant le palais présidentiel, tout en montrant clairement
que la «guerre froide» saoudienne et émiratie avait enfin éclaté en guerre chaude
entre les proxies saoudien et émirati dont les ramifications pourraient se
répercuter dans toute la région.
Les Émirats
arabes unis semblent déjà se préparer à l'éventualité d'une séparation des
Saoudiens en cas de besoin malgré le fait que le Prince héritier d'Abou Dhabi,
Mohammed Bin Zayed (MBZ) soit, le mentor non officiel de son homologue saoudien,
Mohammed Bin Salman (MBS). Les Émirats
viennent d'entamer des pourparlers
maritimes avec l'Iran pour la première fois depuis des années, alors même
que les alliés américains du pays avaient fait de leur mieux cet été pour les
convaincre que la République islamique était responsable de l'attaque de
certains navires dans ses eaux territoriales. Alors qu’au début Abou Dhabi a
semblé mordre
à l'hameçon, Abu Dhabi a plus tard rompu
avec Washington en disant qu'il ne pouvait pas en conclure qui était
derrière ces attaques. On ne sait pas jusqu'où peut aller ce rapprochement
naissant avec l'Iran, mais si les EAU continuaient d'aller dans cette direction
afin de dissuader l'Arabie saoudite d'arrêter ses projets d'un protectorat de
facto dans le sud du Yémen, il pourrait alors déclencher, en réaction, une
chaîne plus large de changements régionaux tels que l'amélioration des liens des
Émirats avec les partenaires de l’Iran que sont le Qatar et la Turquie au grand
mécontentement du royaume saoudien.
Même
si les événements ne vont pas dans cette direction radicale, il est clair que
l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont passés d’alliés dans la
guerre au Yémen à des frères-ennemis qui se font concurrence dans la grande
Corne de l’Afrique et dans la mer Rouge.
Les implications de cette tendance sont profondes, offrant des opportunités
mais également des obstacles pour divers acteurs tiers en fonction de leurs
agendas. Les "lignes de bataille" proverbiales sont en cours
d'élaboration et la guerre par procuration a déjà commencé après que la CST ait
pris le contrôle d'Aden, mais le pire scénario expliqué précédemment peut
toujours être évité tant que les Saoudiens accepteront de se soumettre à l’hégémonie
transrégionale de facto des EAU. MBS pourrait être influencé par son mentor,
MBZ, mais le jeune prince doit également réfléchir à la manière dont cela se
refléterait sur la réputation internationale de son royaume, ainsi que sur sa
propre position dans le pays où les rumeurs abondent déjà sur des mécontents royaux
prétendument complotant pour sa chute. Les enjeux sont donc extrêmement
importants dans cette compétition stratégique, et la balle est dans le camp des
Saoudiens pour déterminer si cette lutte/compétition va dégénérer ou se calmer
dans un avenir proche.
Par Andrew Korybko
Est un analyste politique américain basé à
Moscou et spécialisé dans les relations entre la stratégie américaine en
Afro-Eurasie, la vision globale de la connectivité de la Nouvelle route de la
soie en Chine, et la guerre hybride. Il contribue fréquemment à Global
Research.
Traduction:
Hannibal GENSÉRIC
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