Août, le mois de tous les dangers. Les marchés financiers
le redoutent tous les étés depuis que le vendredi 13 août 1971, le
président Nixon décida brutalement de suspendre la convertibilité du
dollar en or. Fin des accords dits de Bretton Woods,
fin de la stabilité des monnaies, début des risques monétaires, jour du
lancement du grand yoyo financier que nous connaissons depuis. Pour les
moneytraders sur leurs yachts à 100.000 dollars la semaine, les vacances ne sont jamais complètement tranquilles. La chute de 18% de la monnaie en Turquie vendredi 10 août laisse présager que l’année 2018 pourrait alimenter cette chronique des violentes crises aoûtiennes.
La guerre commerciale a déjà lieu
La
Turquie, moyen pays? Sans doute. Mais le hic est que voilà des mois que
cela sent le roussi dans toute la finance mondiale. La cause première
des tracas est la croissance. La réforme fiscale de Donald Trump a
pu accélérer provisoirement le PIB américain (4,1% au deuxième
trimestre) mais ce cadeau gonfle la dette, c’est-à-dire qu’il dégrade
les conditions de la croissance future.
Les marchés
financiers, qui se sont frottés les mains pendant la première année
Trump, ont retourné leur veste au début de 2018. L’avenir ne leur parait
plus si rose. Ces préoccupations se renforcent car elles sont
générales. En Europe, le vent a faibli. En Chine aussi. «L’expansion devient moins égale et les risques entourant les perspectives augmentent», concluait le FMI dans ses «Perspectives» de juillet.
Sur ce substrat économique devenu friable, les risques géopolitiques ont considérablement grossi. La guerre commerciale,
qui n’était en 2017 qu’une hypothèse –alors écartée, est devenue une
réalité. Encore limitée, certes, mais l’escalade est aujourd’hui
possible. L’arme des sanctions commerciales est accrochée à toutes les
ceintures. Chine, Russie, Iran, Turquie sont tour à tour punies par l’Amérique de Trump.
Pékin, une bombe à retardement?
Sur les yachts,
les traders sont rentrés ce week-end précipitamment dans leur cabine.
Ils recalculent dare-dare leurs positions. Le doute s’est installé et il
se nourrit facilement. Les dettes mondiales, hier de peu de souci, sont
examinées avec effroi. De nombreux pays peuvent exploser, à commencer
par la Chine. Ses plans de relance de 2008, dans la crise financière,
ont servi à maintenir l’économie sur son rythme très élevé de 9% ou 7%.
Mais au prix d’un endettement des régions et des grandes entreprises
publiques qui n’a pas été résorbé depuis.
Or la Chine
est sanctionnée par Trump au moment où elle traverse un cap périlleux de
transformation de son modèle (passer du moteur de l’exportation à celui
de la consommation intérieure). Cette mue n’est pas finie. Pékin le
sait et, pour maintenir coûte que coûte sa croissance au-dessus de 6%
malgré Trump, les autorités n’ont pas d’autre moyen que de tirer encore
sur les crédits. La communauté financière regarde cela avec une peur à
la mesure du géant. Mais d’autres pays peuvent exploser: l’Argentine,
l’Italie, le Sri Lanka, l’Indonésie, Oman, la Pakistan. Les bombes sont
disséminées, de tailles différentes, mais toutes aussi dangereuses.
C’est dans ce contexte que la situation en Turquie
est regardée comme un potentiel détonateur. Entre Washington et Ankara,
le motif du conflit est le jugement d’un pasteur américain enfermé pour
«espionnage», menacé de 35 ans de prison, et dont la diplomatie
américaine demande la libération. Donald Trump, avec sa finesse
habituelle, a décidé de mettre la Turquie dans la liste des pays qui
devront payer des surtaxes sur leurs exportations d’acier aux
États-Unis.
Tout cela ne pèse rien en dollars mais cause
l’énervement réciproque des deux dirigeants sur le registre du drame
antique: Trump hausse son menton. Erdogan répond que «les Américains ont le dollar» mais que, lui, a «le peuple et l’appui d’Allah» et qu'il «ne cèdera pas face au complot des tueurs à gages économiques».
Les guerres sont toujours déclarées pour des motifs
mineurs allumant le feu à des combustibles longtemps accumulés. Nous y
sommes exactement pour la Turquie qui présente tous les symptômes d’une
crise financière. L’économie va plutôt bien (5,1% de croissance cette
année, selon l’OCDE), la productivité progresse, des entreprises se créent, elles s’endettent. Depuis le coup d’État de 2016,
le gouvernement investit dans les zones pauvres à force, là encore,
d’endettement. Le pays, avec un déficit commercial de près de 6% du PIB,
vit déjà au-dessus de ses moyens. L’épargne est trop faible. L’argent
appelé de l’extérieur est placé à court terme, ce système est
classiquement très fragile.
Erdogan dénonce un «complot» de la finance
L’inflation dépasse 15%. «Surchauffe»,
dit le FMI, il faudrait ralentir. Mais Erdogan s’y refuse. La
communauté financière internationale se remémore la crise de 2001 qui
avait vu la livre décrocher du dollar, calcule ses pertes avec une livre
tombée de 40% depuis le début de l’année et perd confiance. Les traders
attendent qu’au minimum la banque centrale relève les taux pour que
leur argent soit rémunéré à hauteur du risque, mais elle n’en fait rien
sur l’insistance du président.
Erdogan a nommé son gendre au ministère des finances,
il éructe tous les matins contre le «complot» de la finance. Le pays
n’a plus de crédibilité. La crise empire. La Turquie doit trouver 24
milliards à court terme pour couvrir ses échéances d’emprunts. Les
investisseurs alarmés font surgir l’hypothèse d’un défaut. La Turquie
est dans la nasse.
Conséquences: les autres monnaies
faibles sont attaquées à leur tour, rand sud-africain, roupie
indonésienne, real brésilien. Les banques européennes engagées à
Istanbul ont vu reculer leurs titres en bourse.
Un «complot»? Des «tueurs à gage»? Le président
Erdogan s’en prend à la communauté de la finance, non sans arguments de
son point de vue: l’économie turque croît vite, le pays n’est pas si
endetté (28% du PIB), la politique sociale menée est légitime. Son tort
est d’avoir besoin d’une finance internationale qui réclame de la
transparence, de la crédibilité monétaire et de suivre des principes de
rigueur élémentaire, c’est-à-dire exactement l’inverse de la façon dont
il gouverne.
Comme tous les populistes, il pense que
l’économie doit se plier à la politique. Les 80 millions de Turcs sont
en train d’apprendre durement que sur terre, entre Allah et le dollar,
le plus fort n’est pas le premier. Un choc dont les effets mondiaux
sont, en ce mois d’août 2018, redoutables.
Compter sur les Américains pour installer le chaos dans toutes les structures de la société; c'est le seul domaine où ils excellent.
RépondreSupprimerC'est vrai que Trump est dans son domaine de prédilection mais le verre peut glisser de la table à tout moment
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