Depuis quelques
semaines, le refus de la mairie de Sfax d'enregistrer un prénom amazigh indigne
les associations amazighs. La lutte pour la reconnaissance de l'amazighité,
apparue après la révolution, a toujours du mal à prospérer en Tunisie.
« Massin », prénom
d’un roi berbère, est devenu ces derniers jours celui de la cause amazigh en
Tunisie. Depuis le 27 juillet, les parents d’un nouveau-né se battent pour le
déclarer sous ce prénom auprès de la mairie de Sfax (est du pays), sans y
parvenir.
La cause ? Une
circulaire du ministère de la Justice, qui interdit depuis 1965 l’enregistrement de prénoms non
arabes sur le registre d’état civil.
Toutefois, cette
circulaire n’a pas toujours été respectée et de nombreux prénoms européens,
turcs ou persans ont souvent été acceptés par l’État tunisien. Nissan, Céline,
Gisèle ou encore Haylan sont des prénoms que l’on retrouve désormais parmi ceux
des nouveaux-nés tunisiens. C’est pour cela que les parents du petit « Massin »
voient dans ce refus une loi sélective et une discrimination ciblant
spécifiquement les prénoms et la culture amazigh. Une discrimination qui est
aujourd’hui contraire à la Constitution de 2014, qui inscrit le respect des
droits culturels et des libertés individuelles.
En 2013, un
enfant prénommé « Amazigh »
De son côté, le
maire de la ville de Sfax, Mounir Elloumi, a déclaré début août au micro de
Mosaïque FM qu’il ne s’agit que d’une application stricte de la loi. Il avoue
notamment que la disposition a été relativement délaissée ces dernières années,
mais qu’une note du ministère de l’Intérieur datant de 2013 a rappelé la
nécessité de se conformer à cette fameuse circulaire.
Pourtant, lors de
cette même année, un bras de fer similaire a opposé le gouvernement et les
associations amazighs. Pendant une semaine, elles se sont battues pour faire
inscrire un nouveau-né sous le prénom « Amazigh ». Un combat qui s’était soldé
par une victoire.
Un précédent qui
donne aux parents de l’enfant Massin, ainsi qu’aux associations qui les
soutiennent, de l’espoir dans cette lutte. Au-delà de ce cas bien précis, ils
œuvrent pour une suppression pure et simple de la circulaire qu’ils jugent
contraire à la Constitution.
Discrimination envers les Amazighs
Parmi les pays du
Maghreb, la Tunisie reste
le pays qui offre le moins de reconnaissance culturelle pour la langue dans la
construction identitaire. Il est également le pays le plus touché par le
recul de la langue amazigh. Seulement 2 % de la population serait encore
amazighophone contre 27 à 45 % au Maroc et 27,4 % en Algérie. Pourtant, la
plupart des Tunisiens partagent des origines amazighs, mais celles-ci restent
très peu revendiquées et même souvent méconnues par ceux qui les portent.
Cette méconnaissance
est le résultat d’une politique de marginalisation de la culture amazigh,
opérée depuis la prise de pouvoir de Habib
Bourguiba en 1957. Le premier président de la République tunisienne
voyait dans la culture amazigh un obstacle à la modernité qu’il voulait ériger.
« Ses actions ne visaient pas la berbérité en tant que telle,
le principal but de Bourguiba était de lutter contre le sous-développement.
C’est dans ce sens qu’il a vidé des villages amazighophones situés en hauteur
pour en faire des villages de plaines et qu’il a œuvré à l’accélération de
l’urbanisation », explique Stéphanie Pouessel, chercheuse à l’Institut de
recherche sur le Maghreb contemporain. « Le recul de la langue amazigh est
aussi le résultat de la large campagne d’alphabétisation qu’il a menée »,
continue-t-elle.
L’arrivée
de Ben Ali au pouvoir en 1987 n’a fait que creuser davantage cette
discrimination. En 2009, un comité de l’ONU sur l’élimination des
discriminations raciales avait même fait part de ses inquiétudes concernant le
comportement des autorités tunisiennes à l’égard des Amazighs. « Les Amazighs
sont empêchés de préserver et d’exprimer leur identité culturelle et
linguistique en Tunisie », affirme le rapport. « Ils n’ont pas le droit de
créer des associations à caractère social ou culturel », continue-t-il.
Ces
discriminations, d’après Stéphanie Pouessel, n’étaient pas spécifiques aux
Berbères tunisiens et opéraient dans un contexte plus large de limitation des
libertés individuelles et associatives.
L’après-révolution
La première
association de défense de la culture amazigh n’a vu le jour qu’après la
révolution. L’Association tunisienne de la culture amazigh, créée en 2011
et présidée
par Khadija Ben Saidane, veut alors apporter une nouvelle réflexion
sur l’identité tunisienne et sur ce qui la définit.
D’autres
associations ont suivi le mouvement, toutes revendiquent une meilleure
visibilité de la culture amazigh et une meilleure protection de son patrimoine,
notamment à travers l’enseignement de la langue et le développement durable des
régions amazighs qui sont montagneuses et abandonnées.
La révolution de
2011 (dite de la
brouette) a également marqué les premiers pas de la médiatisation de la
question berbère. Mais au niveau politique, les choses sont toujours bloquées.
Le ministre de la Culture de 2011 à 2014, Mehdi Mabrouk, avait ainsi déclaré
que l’amazighité est « exogène à la Tunisie ». Il avait notamment refusé la
création d’un centre culturel amazigh à Tunis et avait proposé qu’il soit
plutôt installé dans le sud. Un projet qui n’a jamais vu le jour.
L’ex-ministre des
Affaires étrangères, Rafik Abdessalem, (alias Bouchlaka)
a quant à lui refusé en 2012, aux côtés de ses homologues algérien et libyen,
le changement de dénomination du Maghreb arabe au profit de celle d’Union
maghrébine proposé par le Maroc, en arguant que le Maghreb était arabe d’un
point de vue « culturel, civilisationnel et géographique ».
Les Amazighs ne
sont considérés que comme une minorité parmi les autres minorités.
Minorité ?
Après les élections
de 2014, les politiques ont également continué de considérer la question
berbère comme une question secondaire.
« Leur
reconnaissance ne se fait que du bout des lèvres », déplore Emmanuel Précourt
Senécal, étudiant-chercheur à l’Université McGill (Montréal) en anthropologie
et ethnologie politique et travaillant sur les enjeux amazighs en Tunisie.
D’après lui, la Constitution elle-même inscrit dans son premier article la
Tunisie comme étant un pays arabo-musulman et rien d’autre. « Les
Amazighs ne sont considérés que comme une minorité parmi les autres minorités,
ils ne sont que rarement nommés spécifiquement », analyse-t-il.
Selon le chercheur,
les revendications des Amazighs en Tunisie prennent principalement trois formes
: la reconnaissance d’une identité amazigh tunisienne, le soutien de l’État à
l’éducation et à la préservation de la culture et l’alignement de la politique
internationale tunisienne sur un axe nord-africain.
« L’amazighité, ce
n’est pas une minorité qui parle. L’amazighité, c’est l’identité même du Grand
Maghreb », souligne d’ailleurs Maha Jouni, une militante de la cause.
16 août 2018 à 16h43 |
8ème Congrès Mondial Amazigh à Tunis octobre 2018
Le CongrèsMondial Amazigh (CMA), Organisation Internationale Non Gouvernementale de
protection et de promotion des droits individuels et collectifs des Amazighs,
se réunit en congrès général les 26, 27, 28 octobre 2018 à Tunis, en Tunisie.
Le bureau du
CMA va installer incessamment le comité local d’organisation de ce 8ème congrès
à Tunis, qui sera composé par des associations et des personnalités amazighes
de Tunisie sous la coordination de l’ATCA.
Comme il est de
tradition, outre les délégués des associations membres du CMA, seront également
invités à ce congrès, les représentants des organisations internationales, les
représentants des peuples amis, les représentants d’organisations partenaires
ainsi que les amis et sympathisants du CMA.
Citations et proverbes
Il n'y a que le mulet qui nie ses
origines. Proverbe libyen
« Quels misérables nous serions, si
nous n'étions pas fiers de nos ancêtres !» Laure Conan, Extrait
d’Angélique de Montbrun
« Celui qui ne sait pas d'où il
vient ne peut savoir où il va car il ne sait pas où il est. En ce sens, le
passé est la rampe de lancement vers l'avenir. » L'archiduc Otto
d'Habsbourg-Lorraine
« Oublier ses ancêtres, c’est être
un ruisseau sans source, un arbre sans racines. » Proverbe chinois
VOIR AUSSI :
Les
Mutants. Ces
Maghrébins atteints du « syndrome de Stockholm »
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