jeudi 23 août 2018

Le solo de Trump ne peut pas rivaliser avec les rois du hard rock de l’Est


C’était l’époque, durant la guerre froide des années 1960 et 1970, où la terre était dominée par des supergroupes de rock – de Cream et Led Zeppelin à Yes et Emerson, Lake & Palmer.
Bienvenue mes amis sur le show qui n’en finit jamais – et au remix géopolitique post-vérité du supergroupe. Voici Les Sanctionnés, un groupe multinational qui réunit les multi-instrumentalistes Vladimir Poutine (Russie), Xi Jinping (Chine), Hassan Rouhani (Iran) et Recep Tayyip Erdogan (Turquie).

Que va faire le supergroupe des Sanctionnés ? 
Comme tout l’univers du rock le sait, Les Sanctionnés courent le risque continuel d’être éclipsés par Donald Trump – sous la forme de sanctions à plusieurs niveaux.
Les deux véritables virtuoses du groupe se régalent de jouer en parfaite synchronisation. Poutine peut bien s’adonner au solo de Jimmy Page (comme avec les missiles lancés en mer Caspienne contre Daesh en Syrie) ; il ressemble plus à Keith Emerson invoquant le compositeur classique russe Mussorgsky. Xi aime les albums concepts orchestraux Pink Floyd-esque, avec le modelage de La Nouvelle Route de la Soie. Rouhani pourrait être Jack Bruce dans Cream – fournissant ces moments subtils de musicalité sans faille. C’est Erdogan qui est irrésistiblement attiré pour incarner les singeries du Back Door Man de Robert Plant.
groupe
Quant à Trump, il n’est pas Dylan – et certainement pas Roger Waters, mais plutôt Ted Nugent avec des côtés Black Sabbath.
Alors, que va t’il se passer pour Les Sanctionnés ? Une bizarrerie comme Deep Purple sans Gillan et Blackmore ou une fresque comme Fanfare for the Common Man d’ELP ?
Le scénario géoéconomique de Fanfare for the Common Man se lit comme ceci.
Poutine Xi – du partenariat stratégique Russie-Chine – offre à Erdogan l’adhésion au BRICS (BRIC Plus) et à l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). Erdogan a déjà manifesté un intérêt pour les deux.
La Turquie se retire de l’OTAN. L’armée turque va grincer, mais Erdogan, après l’échec du coup d’État de 2016 – dont il a été alerté par les services de renseignement russes – contrôle désormais l’armée.
Pékin et Moscou offrent toute une série d’accords commerciaux ; le ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Lavrov, a déjà proposé de faire du commerce dans leur propre monnaie. Pour sa part, M. Erdogan a déclaré que la Turquie est prête à commencer à utiliser les monnaies locales dans les échanges commerciaux avec la Russie, la Chine, l’Iran et l’UE.
Après que la Turquie ait restructuré ses dettes en dollars américains, la Chine achète la lire turque sur les marchés des changes – un jeu facile pour la Banque Populaire de Chine (PBOC). Ankara prévoit déjà d’émettre des obligations libellées en yuan. La Banque Industrielle et Commerciale de Chine (BICC), a déjà annoncé un prêt de 3,6 milliards de dollars pour l’énergie et les transports.
Contrairement au Consensus de Washington, Erdogan sait très bien que la Turquie ne peut pas « réécrire le plan de gestion de crise pour les marchés émergents » en se soumettant à l’austérité du FMI. Une réponse serait de s’appuyer de plus en plus sur la Banque Asiatique d’Investissement dans les Infrastructures (AIIB).
Ensuite, la plus grande partie du scénario – SCO, BRICS Plus, AIIB, commerce contournant le dollar américain – est rejoué avec l’Iran, comme à l’époque où Pink Floyd avait l’habitude d’engager des rappels de Dark Side of the Moon.
Un nouvel album en vente
Le nouvel album des Sanctionnés (en vinyle dans tous les formats sur toutes les plateformes), intitulé Intégration Eurasienne, est destiné à un usage multi-platine et à remplir des arènes d’Izmir et Hamadan à Chongqing et Vladivostok.
convention de la Mer Caspienne
convention de la Mer Caspienne
Il présente l’Iran comme une plaque tournante cruciale des Nouvelles Routes de la Soie, ou de la Belt and Road Initiative (BRI) – en conjonction avec la nouvelle initiative de connectivité entre la Russie et l’Iran signée à la Convention de la mer Caspienne.
Sur une voie parallèle, le corridor reliant Chine-Kazakhstan-Iran comprend déjà des trains de marchandises empruntant l’itinéraire jusqu’au port iranien de Bandar-e Anzali.
Une autre piste clé du nouvel album tourne autour de l’Accord de Réserve pour Contingent (CRA) du BRICS, décidé lors de leur dernier sommet ; un mécanisme de dé-dollarisation des économies qui sera élargi à mesure que le BRICS deviendra BRICS Plus.
Après avoir signé un accord intérimaire il y a trois mois, l’Iran est déjà en passe de s’engager, d’ici le début de 2020, dans un accord de libre-échange complet avec l’Union Economique Eurasienne (EAEU). La Turquie suivra.
Alors que les entreprises de l’UE délaissent l’Iran sanctionnée, les entreprises chinoises et russes sont en surmenage. Alors que le Congrès américain s’achète des avions de combat F-35 parce qu’Ankara achète le système de défense aérienne russe S-400, Boeing et Airbus en Iran sont voués à perdre des parts de marché au profit des jets russes tels que le MS-21 ou l’IL-96-400M.
Et alors que le commerce Iran-Turquie reçoit un coup de pouce, Turkish Stream – le partenariat stratégique Russie-Turquie dans le domaine de l’énergie – est en bonne voie.
Erdogan sait très bien à quel point la Turquie est la quintessence de la relation stratégique entre l’Est et l’Ouest à travers l’Eurasie. Et il sait de quoi il est vraiment « coupable » : acheter les S-400, abandonner l’obsession « Assad doit partir », faire avancer Turkish Stream et insister pour que la Turquie continue d’acheter du pétrole iranien.
Alors qu’il perfectionne son imitation de Robert Plant – « You need coolin’/ Baby I’m not foolin’/ I’m gonna send ya / I’m gonna send ya / back to schoolin' » – Erdogan fait le calcul sur la façon dont un partenariat Nouvelles Routes de la Soie entre égaux, en tandem dans une relation étroite avec l’AIIB et l’EAEU peut être beaucoup plus rentable qu’un cocktail toxique de l’OTAN surdimensionnée, pas d’austérité néolibérale imposée par l’UE et le FMI.
Cela explique en partie la danse du derviche tournoyant d’Ankara loin des bons du Trésor américain, des obligations et des billets depuis la fin de 2017. Alors qu’en parallèle, Moscou et Pékin (suivi à distance par New Delhi et même Ankara) continuent d’accumuler l’or en anticipant le surcroît de popularité de l’intégration eurasienne, l’album à succès.
Un thermomètre très pratique de la popularité de Erdogan se trouve à Fatih, un quartier ouvrier pieux sur la côte européenne d’Istanbul.
Fatih reflète l’immense popularité de Erdogan dans toute l’Anatolie. Quels que soient ses caractéristiques notoires, incandescentes et peu libérales, le programme de développement de Erdogan ne concerne pas seulement plus de mosquées et plus de centres commerciaux. Au fil des ans, le Parti de la justice et du développement (AKP) a réussi à mettre en place un système d’assurance maladie universel tout à fait décent – y compris la modernisation des hôpitaux publics – ainsi qu’un système de retraite.
Il est maintenant temps d’agir à nouveau – à l’échelle nationale et mondiale.
Nouvelles Routes de la Soie
Nouvelles Routes de la Soie
Appel à tous les jeunes eurasiens
Pendant ce temps, la Russie continuera de développer une stratégie très sophistiquée de l’autre côté de la mer Noire.
En un rien de temps, Poutine a déjà remodelé la mer Noire – géopolitiquement et géo-économiquement. Le symbole graphique est le somptueux pont entre le détroit de Kerch et la Crimée – un tour de force d’ingénierie inauguré il y a seulement trois mois.
Les riffs multi-instrumentaux de Poutine sont omniprésents. Erdogan obtient des S-400, des centrales nucléaires et Turkish Stream (ce qui profite aussi à de vastes étendues au sud de l’Europe). Rouhani et les Asiatiques du centre obtiennent une convention de la mer Caspienne et la perspective d’une succession d’accords énergétiques. Damas et Téhéran – avec Ankara un peu plus loin derrière – voient la fin possible du tragique cycle de la guerre en Syrie.
Comme Erdogan fait progressivement passer les réserves de la Turquie au yuan – et à l’or – les bénéfices peuvent provenir de davantage d’interaction avec la galaxie BRI/EAEU/SCO dans tous les domaines, de l’électronique et de la technologie nucléaire aux armes avancées. Et une connectivité plus approfondie peut impliquer, par exemple, le transit de marchandises chinoises par les ports russes de Krasnodar et de Crimée vers les ports turcs de la mer Noire.
Sheikh Tamim al-Thani et Recep Erdogan
Sheikh Tamim al-Thani
et Recep Erdogan
La mer Noire, à toutes fins pratiques, est en train d’être configurée comme une mer Méditerranée russo-turque – tout comme la mer Caspienne est maintenant configurée comme une mer Méditerranée d’Asie centrale, non membre de l’OTAN.
Parallèlement, Les Sanctionnés bénéficient également de l’intervention de l’émir du Qatar, Sheikh Tamim al-Thani, qui a contribué à l’offre d’un prêt de 15 milliards de dollars à Ankara. Et cela après que le Qatar ait rétabli de bonnes relations avec l’Iran, y compris la collaboration énergétique sur le South Pars/North Dome – le plus grand champ de gaz de la planète.
Il est crucial de considérer que dans l’éventualité où le Commandement des forces conjointes Qatar-Turquie été appelé à « disparaître », pour une raison quelconque, la voie serait ouverte pour une invasion conjointe saoudienne/EAU de Doha, avec des conséquences majeures ; la double confiscation du fonds souverain qatari et du Dôme Nord – au profit du naufrage de la maison Saudi “Vision 2030″.
Ce qui est certain pour l’instant, c’est que Les Sanctionnés font face à une réelle menace d’avoir l’album à succès Intégration Eurasienne expédié au bas des charts, avec pour corollaire de nouvelles routes de liaison BRI et EAEU vers l’Europe via la Turquie partiellement bloquée ou du moins sérieusement perturbée.
Comme l’a écrit le (vrai) David Bowie, pour le groupe Mott the Hopple : All the (Eurasian) young dudes, carry the news(Tous les jeunes (eurasiens) portent les nouvelles).
mott
traduit par Pascal, revu par Martha pour Réseau International

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