Récemment,
des gens du monde entier, en particulier en Russie, ont été surpris de
découvrir que les Américains semblaient avoir perdu la tête. Depuis plus d’un
an, depuis les dernières élections présidentielles, ils se sont montrés
hystériques face à une horrible ingérence russe. Au début, cela devait être un
effort pour influencer le résultat des élections.
Après
qu’une enquête interminable n’a produit aucune preuve, l’accusation a été
reformulée de manière plus vague : comme une ingérence dans le processus
démocratique américain. Ils ne peuvent pas expliquer ce que cela signifie, mais
ça semble sérieux ! Et puis comme ils ne peuvent pas non plus étayer
aucune de ces revendications, il est temps de reformater l’accusation,
affirmant cette fois que « les Russes » (le terme désormais
utilisé comme une sorte d’épithète raciste) exploitent les médias sociaux pour
inciter à la violence ou à l’agitation aux États-Unis. Ils ne peuvent pas être
sérieux ! Ou alors si ?
Ce que les
Américains traversent est difficile mais pas impossible à comprendre. Il n’est
pas facile de faire des compliments à ceux qui se comportent si ridiculement,
mais essayons. Pour ce faire, nous devons parcourir le chemin de la mémoire et
rappeler l’effondrement de l’URSS, l’autre superpuissance du XXe siècle.
Jusqu’en 1980 environ, les citoyens de l’URSS se préoccupaient surtout de leur
propre opinion pour ce qui se passait dans leur pays et dans le monde et
n’étaient pas particulièrement intéressés par les opinions des autres. La
plupart des gens estimaient sincèrement que l’URSS était le meilleur pays du
monde et que leur mode de vie était le plus progressiste. Bien sûr, il y avait
des problèmes, mais c’est le cas partout et à tout moment.
Mais les Jeux Olympiques
de 1980 sont passés par là, amenant avec eux une série de magazines sur papier
glacé qui montraient comment les gens vivaient dans le monde entier. Ce n’était
pas de la propagande et cela ne critiquait personne ; tout était très
positif. Il n’y avait pas de comparaison entre deux variétés de pommes ;
c’était une exposition, pas un concours. Et donc, ici, nous avions une image
d’un soudeur américain qui vivait dans sa propre maison, qui faisait des
barbecues avec ses amis et voisins, et qui avait une famille heureuse et une
femme dont la cuisine ressemblait au panneau de commande d’un petit vaisseau
spatial très stylé.
L’homologue
soviétique du soudeur américain, qui vivait dans un immeuble en panneaux de
béton surplombant une zone de friche boueuse et devait prendre un bus pour se
rendre à son travail, a regardé cet Américain avec sa maison, ses deux voitures
et beaucoup d’autres gadgets et autres bricoles et soupiré… Et puis il a
commencé à penser que son pays n’était peut-être pas le meilleur du monde après
tout. Nous savons tous comment cela s’est terminé : il s’est mis à grogner
et à se relâcher au travail pendant que ses enfants tombaient amoureux des
jeans, du chewing-gum, du rock-and-roll et, en 1991, leur pays s’est effondré.
Avance rapide de
trois décennies et qu’est-ce que nous avons ? Le soudeur américain s’est
blessé le dos pendant son travail, on lui a prescrit des opiacés synthétiques
et lorsque la prescription a expiré, il est devenu un héroïnomane vivant dans
la rue. Sa maison a été saisie après le déménagement au Mexique de l’usine où
il travaillait, et il a perdu son emploi. Sa femme l’a quitté, a emménagé dans
la caravane de son nouveau petit ami et s’est transformée en un monstre de
130kg. Les enfants sont tous partis de leur côté : l’un est un accro aux
jeux vidéos et ne quitte jamais sa chambre ; un autre s’en sort en faisant
des prestations sexuelles devant une webcam ; et le chanceux qui est allé
à l’université ne sait plus si « il » est un garçon ou une
fille et déteste être blanc.
Pendant ce
temps, l’immeuble d’appartements en panneau de béton de son homologue russe a
été recouvert d’une nouvelle couche de carreaux de céramique aux couleurs
design et son appartement a subi une rénovation « Eurostyle ».
Il a été « privatisé », ce qui signifie qu’il le possède
maintenant en nue-propriété. La parcelle de terrain vague qui l’entoure a été
plantée d’arbres et d’arbustes et une rangée de nouvelles Lada et de BMW
brillantes est garée devant. Ses
enfants ont tous été formés sur le budget fédéral et ont trouvé un emploi
professionnel. Lui et sa femme passent leurs étés dans leur maison d’été
(datcha). Leurs enfants et leurs petits-enfants viennent leur rendre visite le
jour de la fête nationale russe. Ils cuisinent du chachlyk grillé, mangent des
légumes venant directement de leur jardin, boivent des vins de Crimée et
chantent des chansons patriotiques. Il s’est avéré que c’est un tour genre
poupée Matriochka : sortir la coquille usée de l’URSS, ses ambitions
idiotes de superpuissance et une foule indisciplinée de « nations
fraternelles » en liberté, pour voir apparaître la Russie, toute neuve
et brillante.
Tout comme les
Jeux olympiques de 1980 ont montré aux Russes à quoi ressemblait la vie en
dehors de l’URSS, les
matchs de la Coupe du monde 2018 ont montré au monde à quoi ressemble la vie en
Russie. L’image de la Russie en tant que Mordor totalitaire, pauvre et
en ruines, a été brisée pour laisser apparaître l’image d’une Russie joyeuse, libre, sûre,
bien dirigée et prospère. Au fur et à mesure que cette réalité suinte,
de plus en plus d’Américains doivent commencer à penser qu’ils ne seraient pas
du tout opposés à vivre comme les Russes, sans déménager en Russie, mais d’amener
un peu de Russie dans leur pays d’origine. Plus précisément, beaucoup d’entre
eux ne verraient pas de problème à avoir une direction un peu à la Poutine,
respecté, et faisant autorité tout en étant autoritaire, compétent et
populaire, au lieu de ces faces indignes et leurs bandes d’amis et d’ennemis
que l’on ne peut pas distinguer.
Ce développement
frappe d’horreur mystique les cœurs des élites dirigeantes américaines, car
elles savent déjà comment ce genre d’histoire se termine. C’était précisément la
méthode utilisée pour renverser l’URSS, leur ancien concurrent géopolitique.
Ils n’ont pas obtenu cet effet par la propagande, mais simplement en disant la
vérité : à l’époque, la vie aux États-Unis était simplement meilleure.
Et maintenant,
ce n’est tout simplement plus le cas. À l’époque, quelque 80% de la population
américaine faisait partie de la classe moyenne ou pouvait aspirer à entrer dans
la classe moyenne. Mais aujourd’hui,
la classe moyenne américaine a été divisée par cinq, à 20% de la population.
Dans de nombreux secteurs importants, allant de l’accès à Internet haut débit à
des logements abordables et de qualité, à l’éducation et aux soins de santé, à
la sécurité publique, au démarrage et à la gestion d’une petite entreprise, à
la rentabilité de leurs forces armées, les États-Unis ont pris du retard sur la Russie, d’au
moins une décennie. Et la vérité de cette sous-performance devient
impossible à cacher.
C’est pourquoi les élites américaines se débattent dans un paroxysme de
désespoir. Elles ont été placées dans la même position que les
membres du Politburo soviétique dans les années 1980. Elles savent exactement à
qui reprocher leur situation : la Russie bien sûr, mais ils ont beaucoup
de mal à formuler leur accusation. Alors qu’ils ont jugé bon de se mêler des
affaires soviétiques dans les années 1980 et dans les affaires russes depuis
lors, ils tentent maintenant de qualifier les efforts de communication de la
Russie d’« expansionnisme » et de « révisionnisme ».
Qu’en est-il des droits de l’homme et de la liberté d’expression ? Est-ce
qu’on interdit aux Américains de savoir comment vivent les Russes et ce qu’ils
considèrent comme bon et correct ? Leurs dirigeants ont-ils peur de la
Russie ou ont-ils peur que leur propre peuple découvre la vérité sur la
Russie ?
Pour déterminer
à quel point ils ont peur, nous pouvons utiliser la liste suivante de
contre-mesures pratiques et voir jusqu’où ils vont être forcés de descendre
dans cette liste.
1. L’autocensure. Ceux qui ont déjà essayé de
faire connaître la vérité deviennent plus réticents et plus enclins à
l’équivoque, car tout écart par rapport au récit officiel est maintenant puni
d’ostracisme.
2. Évitement du sujet. Ils commencent à
éviter certains problèmes « chauds » qui, selon eux, sont les
plus susceptibles de leur causer des problèmes, créant ainsi des zones
d’enclavement géantes qui rendent de plus en plus les États-Unis aveugles face
aux nouveaux développements dans le monde.
3. Réponse au harcèlement. Quelques incidents
de harcèlement officiel amènent les médias à commencer à diluer ou à retirer
leur contenu, ce qui fait que certaines parties de l’histoire contemporaine
apparaissent puis disparaissent sur la base des caprices officiels.
4. Liste noire. Les
fonctionnaires ont recours à la censure du contenu au cas par cas, bloquant ou
fermant certains sites Internet qu’ils considèrent particulièrement dangereux.
5. Blocage des communications. Les
fonctionnaires commencent à s’occuper sérieusement des « cas
difficiles », des individus peu coopératifs, en fermant leurs
communications, en désactivant leurs comptes sur les médias sociaux et leurs
téléphones portables, en fermant leur accès à Internet et en leur imposant des
restrictions de voyage.
6. Détention. Les personnes jugées peu
coopératives, qui tentent de contourner les restrictions, sont rassemblées et
envoyées dans des lieux inconnus.
Rassurez-vous,
ces mesures seront toutes temporaires. Dans tous les cas où les élites
dirigeantes ont été forcées de tenter de bloquer la vérité, le résultat final
fût une « perestroïka » ou une « révolution colorée »…
ou un effondrement. Les membres des élites dirigeantes qui veulent avoir un
avenir feraient bien d’écouter ce conseil : prenez le parti de la vérité. Il n’a fallu
qu’un seul garçon pour souligner que le roi était nu. Sois ce garçon.
Dmitry Orlov
Le 16
août 2018
Traduction
le Saker
Francophone
Source
Excellentissime article (de mon point de vue bien sûr). Merci.
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