… avant que l’Empire hostile, orgueilleux, et incapable de tenir un engagement, ne réussisse à séparer la Russie de la Chine
Depuis 1991 et la fin officielle de la première guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique, le monde a connu un « moment unipolaire » américain alors quel’establishment politique
bipartisan américain cherchait à consolider et à perpétuer son contrôle
hégémonique sur l’ensemble de la planète. Voué à l’échec avant même
qu’il ne reçoive son expression la plus complète en 1996 par lesidéologues néoconservateurs William Kristol et Robert Kagan (accusés à tort de « mener une politique étrangère néo-reaganiste »), ce moment usurpé arrive heureusement à son terme.
La
principale question est de savoir si l’arrêt d’une quête aussi stupide
et destructrice peut se transformer pacifiquement en une entente
tripolaire entre les États-Unis, la Russie et la Chine – ou si l’establishment de Washington, à la Samson, détruira tout dans
une tentative désespérée mais futile de conserver son pouvoir et ses
privilèges. Nous semblons approcher du moment où cette question sera
résolue dans un sens ou dans l’autre. Ce que l’administration Trump va
faire en ce qui concerne l’Iran sera un indicateur clé, peut-être décisif.
***
la présence d’une étoile de David très claire au-dessus de l’aigle
américain au verso du dollar, quoi qu’il y apparait depuis 1935 sur
l’ordre du président Roosevelt.
***
Mais récemment, un concept alternatif est apparu, qui peut être vu
comme une voie intermédiaire entre l’Amérique qui s’accroche obstinément
à son hégémonie décroissante et la création d’un nouveau concert des puissances avec les deux pays que l’administration de Trump a désignés comme des rivaux dans « la compétition pour le pouvoir suprême ». Ce concept suggère que les États-Unis devraient jouer à chercher « l’homme de trop » en
s’associant à l’une des deux autres puissances contre la troisième. Une
telle triangulation pourrait vraisemblablement perpétuer et renforcer
la domination mondiale des États-Unis – on suppose que l’autre pays
serait le junior partner – tout en limitant l’influence de l’adversaire désigné.
Curieusement, étant donné le niveau démentiel de haine de la Russie
qui habite la classe politique américaine, personne ne semble avoir
tenté de détourner Pékin de sa quasi-alliance avec Moscou, répétant
l’attitude du président Nixon « jouant la carte de la Chine » contre
l’URSS au début des années 1970. Au contraire, le discours brûlant est
tout le contraire, à savoir que les États-Unis devraient séduire la
Russie et en faire une alliée contre la Chine. C’est ainsi que Harry J.
Kazianis, du Center for the National Interest présente la chose dans « The Coming American-Russian Alliance Against China », ( « L’Alliance américano-russe à venir contre la Chine ») :
« Il existe une possibilité très réelle de voir Washington et Moscou se concerter pour une très bonne raison, et cela bientôt.
Les deux pays ont une raison de craindre un changement imminent
de l’ordre international qui aura un impact sur eux deux. Et comme
l’histoire nous l’a montré maintes et maintes fois, une puissance
montante qui cherche à renverser le système international peut voir ses
ennemis les plus féroces unir leurs forces – et rapidement.
Je ne veux parler que d’une chose : une Chine en pleine croissance et plus puissante. […]
Bien que cela ne se produira peut-être pas tout de suite, et
qu’un affrontement armé, par exemple en Ukraine ou en Syrie, puisse
retarder ou même détruire toute possibilité de réalignement
géopolitique, il est fort possible que les étoiles s’alignent pour la
Russie et l’Amérique et qu’ils s’entendent contre la Chine dans le
futur. Des appariements étranges se sont déjà vus dans le passé [Hitler
et Staline en 1939, puis URSS et Alliés occidentaux pendant la Seconde
guerre mondiale, NdT]. Bien que nous puissions, à juste titre,
considérer Moscou comme un État voyou,
demain, il pourrait être partenaire pour contenir un ennemi commun.
L’histoire et les circonstances ne prennent parti pour personne. »
Jouer la carte de la Russie contre la Chine est même présenté, par l’ancien diplomate indien M.K Bhadrakumar, dans le cadre d’une stratégie à long terme « Trump a une grande stratégie, il veut faire du Nixon inversé en s’alliant à la Russie pour contrer la Chine », idée longtemps promulguée par l’architecte du rapprochement de Nixon avec la Chine communiste, Henry Kissinger – qui aurait conseillé Trump en ce sens, selon le diplomate indien :
« Dès 1972, lors d’une discussion avec Richard Nixon sur son
prochain voyage en Chine, marquant l’ouverture historique à Pékin,
Kissinger pouvait déjà se rendre compte qu’un tel rééquilibrage
deviendrait nécessaire dans le futur [avec les Russes]. Il a estimé que,
comparés aux Soviétiques, les Chinois étaient ‘tout aussi dangereux. En
fait, ils sont plus dangereux à long terme’. Et Kissinger d’ajouter :
‘Dans vingt ans, votre successeur, s’il est aussi sage que vous, finira
par pencher vers les Russes contre les Chinois’.
Kissinger a fait valoir que les États-Unis, qui cherchaient à
profiter de l’hostilité entre Moscou et Pékin à l’époque de la guerre
froide, auraient donc ‘besoin de jouer à ce jeu d’équilibrage de la
puissance sans sourciller’. En ce moment, nous avons besoin que les
Chinois corrigent et disciplinent les Russes. Mais à l’avenir, ce
pourrait être l’inverse. »
La possibilité que Trump, ou certaines personnes de son
administration, envisagent sérieusement l’idée ne peut être rejetée. Il
convient de noter quelques rares voix saines à propos de la Russie dans
la vie publique américaine, comme les journalistes Laura Ingraham à Fox News : « Trump veut trianguler la Chine, et la Russie, n’est-ce pas ? » et Tucker Carlson : « Il est évident que la Chine est la vraie menace, pas la Russie ».
Ceci dit, que les USA soient ouverts à un partenariat avec la Russie
contre la Chine ne répond pas à la question de savoir si un tel
stratagème serait objectivement viable. Il y a trois raisons de supposer
que ce ne serait pas le cas :
L’hostilité des États-Unis envers la Russie est inaltérable dans un avenir prévisible.
Dans un contexte rationnel d’élaboration des politiques, il devrait
être évident qu’il n’y a pas de raison réelle à l’animosité
américano-russe. Les intérêts fondamentaux des deux États ne sont pas en
conflit, sauf sur la Chine, et c’est déjà beaucoup pour servir de base
à une coopération, par exemple sur la menace commune du terrorisme
islamique – contrairement au penchant de plusieurs décennies des
États-Unis à instrumentaliser les djihadistes islamistes contre la Russie et
d’autres pays, tels que la Serbie, la Libye et la Syrie.
Malheureusement, il n’y a guère de rationalité à propos de la Russie à Washington. La détestation intransigeante de la Russie, que les honnêtes gens ne sont pas censés voir comme un ennemi, est indissociable de la conspiration transatlantique visant à expulser Trump de ses fonctions. En effet, l’engagement de Trump à améliorer ses relations avec Moscou figure parmi les principales raisons de l’évincer.
L’hostilité envers la Russie (et envers tous les espoirs de détente
de la part des trumpiens) réunit pratiquement tous les démocrates,
presque tous les médias réputés (bien sûr), presque tous les think tanks
prestigieux, et apparemment tous les officiels de haut niveau de
l’équipe de Trump lui-même. À la suite de son sommet d’Helsinki avec le
président russe Vladimir Poutine et le scepticisme anodin de Trump à
propos des prétendues « ingérences » électorales, l’hystérie de cette phalange de la haine a atteint de nouveaux sommets. Les sénateurs promettent un nouveau « projet de loi sur des sanctions infernales » bien
que Trump insiste sur le fait que les sanctions existantes sont
probablement éternelles. La nouvelle mesure du Sénat inclut même une
disposition absurde selon laquelle le secrétaire d’État « doit déterminer si la Fédération de Russie remplit les critères de qualification d’un parrain du terrorisme »,
ignorant évidemment le fait que les États-Unis ont armé et financé
pendant sept ans des terroristes liés à Al-Qaïda en Syrie alors que les
Russes les tuaient.
Les principaux responsables de Trump le harcèlent ouvertement
à propos de l’ingérence bidon de 2016, et ils accusent déjà Moscou
d’intervenir par avance dans le vote du Congrès avec l’intention, sans
rire, de « saper notre démocratie ». Les médias sociaux comme Facebook sont en mission de recherche et destruction contre tout ce qui est seulement soupçonné d’avoir un « lien avec la Russie ».
Une jeune étudiante russe qui défend le droit aux armes à feu et
s’active sur les réseaux à Washington est considérée comme un mélange
de Anna Chapman et de Natasha Fatale, diffamée et salie dans les principaux médias (son avocat est menacé dans sa liberté de parole). Une aide militaire renforcée
est fournie à Kiev. Le Pac-Man de l’OTAN s’apprête à s’en prendre à
l’ex-République yougoslave de Macédoine, tout en aliénant à la Russie
son amie chrétienne orthodoxe de longue date, la Grèce.
Pas étonnant que le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov ne puisse faire entendre qu’un rire sardonique.
Bref, tout ce qui est russe est toxique et le devient de plus en
plus. Même si Trump voulait vraiment changer cet état de choses, ce
serait la preuve, selon l’ancien directeur de la CIA, Leon Panetta,
que les méchants Russes « savent quelque chose sur lui »,
et il ne pourrait pas le faire. Non seulement son opposition, mais sa
propre équipe veillera au grain. L’ambassadrice des États-Unis aux
Nations Unies, Nikki Haley, a déclaré que la Russie « ne sera jamais notre amie ». Les Russes ont toutes les raisons de la prendre au mot.
Cela rend pour le moins impossible toute idée d’enrôler la Russie
comme alliée contre la Chine. Pour seulement l’envisager, il faudrait
que les États-Unis soient en mesure de tendre une sorte de branche
d’olivier à la Russie, mais cela ne peut pas arriver de sitôt, si jamais
cela devait arriver un jour. Vous ne pouvez pas construire un
partenariat sur la base d’un antagonisme irrémissible.
La Russie est, primo échaudée, secundo timorée. Même dans le cas,
actuellement inconcevable, où les États-Unis proposeraient d’enterrer la
hache de guerre avec la Russie, les Russes seraient idiots d’accepter.
Ils ne sont pas idiots.
À part des circonstances très mineures et faciles à vérifier,
pourquoi, qui que ce soit à Moscou, croirait-il une assurance de
quelqu’un à Washington ?
Les États-Unis ont-ils honoré leur engagement
envers Boris Eltsine de ne pas déplacer l’OTAN d’un pouce plus loin vers
l’est après la réunification de l’Allemagne ?
Les États-Unis
respectaient-ils la Charte des Nations Unies, l’Acte final d’Helsinki et
la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies lors de
l’agression militaire de l’administration Bill Clinton contre la Serbie
au Kosovo ou le forcing de l’administration Georges W. Bush pour la
sécession du Kosovo en 2008 ?
Les États-Unis font-ils preuve de bonne
foi dans leurs accusations sans fondement de la culpabilité russe dans
des attaques chimiques sous faux pavillon en Syrie et au Royaume-Uni ?
Même si les responsables russes restent, par nature, ouverts aux
relations d’affaires et aux discussions professionnelles avec ceux
qu’ils persistent encore à désigner comme des « partenaires », ils savent aussi reconnaître la haine idéologique et zoologique aveugle quand ils la voient.
Même si demain les États-Unis offraient aux Russes le soleil, la lune
et les étoiles en échange de leur coopération contre la Chine, ils ne
mordraient pas à l’hameçon. Et ne devraient pas.
La Russie a plus de raisons objectives à s’entendre avec la Chine qu’avec les États-Unis.
La
principale chose dont la Russie a besoin venant des États-Unis est
essentiellement… Eh bien, rien. C’est-à-dire qu’il y a très peu
de choses de nature pratique, et surtout économique, dont la Russie a
besoin positivement des États-Unis et vice versa. Ce que la Russie veut
surtout des États-Unis est négatif : cesser de la considérer comme un
ennemi et sortir de son champ de vision dans des régions d’une
importance vitale pour elle mais sans valeur pour les États-Unis.
Sans solliciter trop loin l’analogie de Georges Orwell dans 1984, avec
l’Amérique comme principale composante de l’Océanie, la Russie de
l’Eurasia et la Chine de l’Estasia, géographiquement l’Amérique et la
Russie n’ont aucune raison d’entrer en conflit, il n’y a pas de
configuration naturelle pour les rendre interdépendantes. La Russie est
l’approximation la plus proche du « Heartland » de l’île monde définie par Halford Mackinder. Les États-Unis représentent l’essentiel des îles extérieures de Mackinder (hémisphère occidentale et Australie) et les îles offshore sont représentées par les îles britanniques et la chaîne des archipels du Pacifique First Island Chain. Mais, contrairement aux fantasmes de certains demi-diplômés d’un « Mackindergarten » de
géopolitique élémentaire, cette configuration ne doit pas
nécessairement donner lieu à un conflit prédéterminé et inévitable. Elle
montre aussi facilement l’autosuffisance de chaque pouvoir dominant
dans sa propre sphère d’influence.
Avec une frontière commune de plus de quatre mille kilomètres, la
Russie et la Chine entretiennent une relation par le simple fait de la
géographie, tout comme les États-Unis, qui sont intrinsèquement dans la
position la plus sûre des trois. La relation
russo-chinoise peut être hostile – notamment à la fin des années 1960,
lorsque les deux géants communistes de l’époque ont mené une courte
guerre frontalière qui menaçait de dégénérer en conflit nucléaire et qui
a ouvert la voie à l’initiative de Nixon en Chine – ou coopérative.
Suite, en partie, à une animosité américaine bien ancrée contre la
Russie et à une montée en puissance de la Chine, Moscou et Pékin ont
choisi un partenariat tous azimuts avec l’Organisation de coopération de
Shanghai (OCS), l’Initiative des routes de la soie (BRI), l’Union
économique eurasienne (EAEU), la Nouvelle (anciennement du BRICS) banque
de développement (NDB) et d’autres initiatives. Enfin, la Russie et la
Chine travaillent de concert pour dé-dollariser leurs systèmes
financiers en faveur de leurs monnaies locale et de l’or, que les deux
pays achètent en très grandes quantités.
Ces liens entre la Russie et la Chine sont aussi naturels,
complémentaires et évidents que ceux qui existent entre les États-Unis,
le Canada et le Mexique. Il est difficile d’imaginer que Moscou (ou
Pékin) les abandonne parce que quelqu’un à Washington leur fait de
l’œil.
Si Trump survit aux
efforts pour l’éliminer (politiquement ou physiquement) – un défi de
taille vu les forces déployées contre lui – et ne plonge pas les
États-Unis et le Moyen-Orient dans une mésaventure iranienne qui détruirait sa présidence, la question de savoir s’il peut mener sa politique America First reste
ouverte. En plus du contrôle des frontières et de la restauration de la
base industrielle américaine érodée par de mauvaises politiques
commerciales, cela signifie la démolition finale de l’ordre néolibéral failli dont les États-Unis ont été les instigateurs et les garants.
À la place de cet ordre néolibéral failli, le seul arrangement
fiable, et mutuellement avantageux, est un accord des trois grands avec
la Russie et la Chine. L’idée de retourner les uns contre les
autres doit être rejetée comme une distraction.
James George JatrasTraduit par jj, relu par Cat, vérifié par Diane pour le Saker Francophone
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