L’enjeu est à la fois médical, financier et géopolitique. Alors que
le débat fait rage entre les médecins à propos de l’efficacité de la
chloroquine contre le nouveau coronavirus Covid-19, les États, eux, ont
pris les devants. L’américain Donald Trump y voit un remède miracle
quand le français Emmanuel Macron se rapporte à un comité scientifique
boycotté depuis peu par l’atypique Didier Raoult, cet infectologue hors
système, patron de l’institut Hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée
Infection de Marseille, « nouveau Christ » selon les uns, « fou
furieux » selon les autres [1].
Pendant ce temps, la course aux stock a commencé dans le monde.
Le
gouvernement marocain a réquisitionné le stock de chloroquine disponible
dans le pays auprès des laboratoires Sanofi, le seul du pays qui
produit les deux médicaments à base de chloroquine — Nivaquine et
Plaquenil, utilisés contre le covid-19.
L’Algérie voisine dispose elle d’un stock largement suffisant selon
les autorités. Dans ce cadre, Dr Bekkat Berkani, président du Conseil
de l’ordre des médecins et membre du comité scientifique de veille et de
suivi de l’évolution de l’épidémie du Coronavirus (COVID-19), a
annoncé mardi dans une déclaration sur les ondes d’une radio locale que
le ministère de la Santé a commencé à tester le médicament avec
quelques cas graves infectés par le virus « Coronavirus » hospitalisés
l’hôpital El Kettar d’Alger.
Autre pays maghrébin, la Tunisie où le le
Directeur des soins et de santé de base, Chokri Hamouda, a annoncé,
mardi 24 mars, le démarrage des essais cliniques de base en coordination
avec le laboratoire national de contrôle des médicaments, le centre
national de pharmacovigilance, et l’instance nationale de l’évaluation,
et de l’accréditation en Santé (INEAS). Le pays s’est procuré
d’importantes quantités de chloroquine.[2]
De l’autre côté de la rive du Sahara, le scepticisme semble
l’emporter sur la vision de la chloroquine comme remède miracle contre
le covid-19. Au Sénégal, le professeur Pr Daouda Ndiaye, chef du
service de parasitologie de l’hôpital Aristide Le Dantec , estime, dans
un entretien à Walf Quotidien, qu’il ‘’n’y a pas de preuves formelles’’
pour dire que la chloroquine soigne cette maladie.
Pharmacies à sec ?
En dépit de cet intérêt soudain pour l’un des médicaments les plus
connus en Afrique, l’on ne relève pas une effervescence particulière
chez les particuliers, ni une anticipation auprès des pouvoirs publics
pour acquérir ce médicament dont le prix est appelé grimper . Le Figaro
du 22 mars écrivait qu’en quelques jours, « les réserves des
pharmaciens ont été mises à sec » au Burkina Faso, au Sénégal mais aussi
en Afrique centrale, au Cameroun. D’autre part, des enquêtes menées à
partir du 11 mars par le réseau ouest-africain Anthropologie des
Epidémies émergentes, en lien avec le réseau Sonar-Global, indiquaient
que des commerçants africains ont constitué des stocks pour répondre à
la demande. Les réseaux parallèles en provenance du Nigeria et de l’Inde
se frotteraient les mains. Pour parer à la prolifération du commerce
illicite, Interpol a mené une opération de lutte contre le commerce en
ligne de produits médicaux contrefaits entre le 3 et le 10 mars, arrêté
121 personnes et saisi l’équivalent de 14 millions de dollars de
produits potentiellement dangereux, parmi lesquels des antiviraux
actuellement non autorisés contre le coronavirus comme la chloroquine.
Aux USA, si Donald Trump a assuré que la chloroquine pourrait être
rapidement disponible « sur ordonnance », la Food and drug
administration (FDA) a, elle nuancé les promesses présidentielles. «Le
président nous a demandé de regarder de plus près ce médicament. Nous
voulons faire cela en mettant en place un essai clinique étendu et
pragmatique pour recueillir ces informations et répondre à toutes les
questions qui se posent», a expliqué le directeur de l’autorité
régulatrice en matière de médicaments, Stephen Hahn.
En France, la seule unité de production, Famar, lâchée par le fonds
d’investissement KKR, en redressement judiciaire et à la recherche de
repreneur, pourrait valoir son prix d’or si le professeur Raout, tel un
Ignace Semmelweis qui avait découvert avec Pasteur les bienfaits du
lavage de main en milieu hospitalier mais dut faire face, sa vie
durant, au conservatisme de la science, remportait la bataille, soutenue
qu’il est par l’opinion publique et une vaste pétition adressée au
président Emmanuel Macron.
La chloroquine n’est pourtant pas une innovation.
Utilisée depuis 70
ans contre le paludisme, c’est l’un des médicaments les plus connus en
Afrique même si essentiellement importé à l’instar de la plupart des
produits de première nécessité.
Bref, dans les semaines à venir, nous assisterons à une course vers
la production et l’achat de la chloroquine. Déjà Sanofi propose de
mettre à la disposition de la France plusieurs millions de doses pour
traiter gratuitement 300.000 patients. Le Suisse Novartis dispose de
130 millions de comprimés et lance un fond d’aide mondial de 20 millions
de dollars quand Bayer organise en urgence la production et l’israélien
Teva propose 6 millions de doses aux hôpitaux américains. Vieux
médicament peu rentable et produit dans les unités secondaires, la
chloroquine connaît une seconde jeunesse avec le Covid-19.
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