Après avoir
évoqué le retour d’un « État-providence », Emmanuel Macron vient
d’annoncer un « plan massif d’investissement pour notre hôpital ». De
quoi, enfin, répondre aux revendications des soignants mobilisés depuis
plus d’un an à ce sujet ? Rien n’est moins sûr à en croire Pierre-André
Juven, sociologue de la santé publique, qui met en garde contre les
discours en trompe-l’œil. Entretien.
Trump & Macron enrichissent les 1% riches sur le dos des 99% |
Basta ! : Dans votre livre La casse du siècle. À propos des réformes de l’hôpital public,
vous dénoncez le détricotage néolibéral des politiques de santé
publique depuis 40 ans. À l’occasion de son premier grand discours sur
la crise du coronavirus, Macron a annoncé vouloir « reprendre le contrôle » de « biens et de services qui doivent être placés en dehors des lois du marché » et de « décisions de rupture ». Ses propos sont-ils de nature à vous rassurer ?
Pierre-André Juven [1] : Emmanuel Macron a surpris beaucoup de monde, le 12 mars, avec son laïus sur l’État-providence, un « atout indispensable »
dit-il. Il ne faut pas se tromper de lecture et bien comprendre ce
qu’il entend par État-providence. Dans son optique, l’État-providence
doit surtout déployer les conditions d’épanouissement du marché qui, en
retour, améliorera les conditions de vie des personnes.
L’État-providence doit certes protéger des risques de la vie, mais dans
son prisme néolibéral, il doit aussi être le financeur des entreprises
de santé en misant sur le fait qu’elles seront par ailleurs compétitives
sur la scène internationale. En finançant ces entreprises, en les
rendant solvables, il transforme donc ce qui pourrait apparaître comme
un coût en une opportunité de marché. C’est donc cette opportunité que
le fameux État-providence doit soutenir, notamment dans le domaine
pharmaceutique et numérique. Le Covid-19 est certes en train de
bouleverser le monde, mais je ne crois pas qu’il ait la capacité de
convertir Emmanuel Macron au communisme.
Emmanuel Macron a tout de même annoncé un « plan massif d’investissement pour l’hôpital » ce 25 mars…
Il cherche à désarmer la critique et la colère, c’est assez
compréhensible. Il sait que beaucoup de gens ne lui pardonnent pas le
mépris qu’il a affiché depuis un an pour le mouvement hospitalier, ni
son refus d’améliorer les conditions de travail des soignants. Ceux-ci
ne sont pas dupes et le disent, « on y croira quand ce sera fait ».
Ils ont raison. Il faut se souvenir d’où parle Emmanuel Macron : il
croit profondément en la supériorité du marché et en l’équilibre qu’il
est supposé créer. En cela, il est une figure parfaite du néolibéralisme
au pouvoir. Or le néolibéralisme, comme l’explique très bien le
sociologue François Denord [2],
consiste bien sûr en une extension du domaine marchand, mais aussi – et
c’est un point majeur – suppose que l’État soutienne le marché et lui
facilite la vie. C’est bien sur ce point qu’Emmanuel Macron compte jouer
à plein : dans une crise comme celle-ci, pour lui, tout l’enjeu
consiste à sauver le capitalisme sanitaire et ses grandes industries, en
les constituant en solution pour l’après-crise.
On se tromperait donc de lecture en pensant que les efforts annoncés bénéficieront véritablement à l’hôpital public ?
Il faut prendre le temps d’écouter ce qu’a dit le Président. Il n’a
pas parlé d’un grand plan d’investissement dans l’hôpital public, il a
parlé d’un « plan massif d’investissement pour notre hôpital ».
Ça peut vouloir dire plein de choses. Il faut attendre de connaître le
détail des mesures et des acteurs qui bénéficieront de cet
investissement. De même, quand, dans son discours du 12 mars, il avance
que la santé n’a pas de prix, cela peut très bien signifier que l’État
va consacrer des moyens importants pour les grandes industries de santé
et pharmaceutiques.
Source : Bastamag, Barnabé Binctin, 27-03-2020VOIR AUSSI :
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