Aux échecs, un gambit est le sacrifice volontaire d'un pion à
l'ouverture dans le but d'obtenir un avantage stratégique par la suite.
Bien réalisé, il met l'adversaire en position très inconfortable pendant
une dizaine de coups voire plus. C'est toutefois une arme à double
tranchant qui peut se retourner très vite contre son promoteur si le
défenseur joue finement. Les Saoudiens l'ont tenté et se disent
maintenant qu'ils auraient peut-être dû y réfléchir à deux fois avant de
défier les maîtres en la matière que sont les Russes et les Iraniens.
Retour
en arrière... A la mi-2014, l'Arabie Saoudite était en relative
position de force. Assad commençait à reperdre du terrain face aux
djihadistes sunnites soutenus par Riyad et Doha, et l'espoir renaissait
de voir les pipelines qatari d'abord, saoudien ensuite, traverser la
Syrie pour rejoindre la Turquie et le marché de consommation européen.
L'arc chiite allait être brisé, l'Iran contenu, la Russie
énergétiquement marginalisée... Certes, les discussions sur le nucléaire
iranien inquiétait les cheikhs grassouillets (quelle mouche avait donc piqué Obama ?) mais le royaume wahhabite pouvait voir l'avenir avec un relatif optimisme. Patatras...
29 juin 2014 : l'Etat Islamique, dont la progression est stoppée, proclame le califat sur les territoires qu'il contrôle. Pour l'Arabie, gardienne des lieux saint de l'islam, c'est un casus belli, non pas idéologique (les décapitations et atteintes aux droits de l'homme saoudiennes n'ont rien à envier à celle de l'EI), mais symbolique et stratégique. Comment ?! Nos créatures nous échappent, une fois de plus...
29 juin 2014 : l'Etat Islamique, dont la progression est stoppée, proclame le califat sur les territoires qu'il contrôle. Pour l'Arabie, gardienne des lieux saint de l'islam, c'est un casus belli, non pas idéologique (les décapitations et atteintes aux droits de l'homme saoudiennes n'ont rien à envier à celle de l'EI), mais symbolique et stratégique. Comment ?! Nos créatures nous échappent, une fois de plus...
14 juillet 2014 : l'accord sur le nucléaire iranien est signé à
Vienne, provoquant la fureur des adversaires de Téhéran (et alliés des
Etats-Unis dans la région) : nos petits cheikhs wahhabites mais aussi
Israël. Les sanctions contre l'Iran seront graduellement levées, ouvrant
la porte au renouveau perse au Moyen-Orient. Les câbles Wikileaks ont montré l'invraisemblable paranoïa des dirigeants saoudiens vis-à-vis de Téhéran.
19
septembre 2014 : au Yémen voisin, la rébellion chiite des Houthis
attaque la capitale Sanaa et lance sa grande offensive qui culminera
avec la conquête de la moitié du pays. L'Iran est-il derrière le
soulèvement ? A Riyad, c'est en tout cas la panique. Quoi ?! Des mécréants chiites à nos frontières, presque chez nous... Les pétromonarchies se lanceront dans une opération meurtrière pour la population civile, s'amusant aussi à bombarder des hôpitaux de MSF...
Par contre, sur le plan militaire, l'avance de la coalition
pétromonarchique en est au point mort et l'intervention se transforme
lentement mais sûrement en bourbier, ce que nous prévoyions déjà au mois d'août.
Syrak,
Iran, Yémen : le bel édifice saoudien, château de sable, s'écroulait en
trois mois. C'est alors que Riyad joua son va-tout, son gambit du roi.
Le plan était simple, pour ne pas dire simplet : ouvrir les vannes
de l'or noir (sa seule ressource) pour faire drastiquement baisser les
cours du pétrole. Pays visés : l'Iran (l'ennemi de toujours), la Russie
(qui soutient mordicus Assad) et les Etats-Unis (dont la "trahison" sur
le dossier du nucléaire iranien est mal passée).
Un an après, où en est-on ? Le schiste américain a certes senti
passer la douleur, mais les autres ? Sous sanction depuis des dizaines
d'années, Téhéran en a vu d'autres et ne va pas changer sa politique
pour si peu ; les Iraniens ont au contraire encore accru leur aide à
Assad et participent maintenant aux combats en Syrie ! De plus, la levée
des sanctions internationales se profile à l'horizon (fin 2015-début
2016 d'après les dernières infos). Quant à l'ours russe, il se marre carrément, a dépassé
l'Arabie Saoudite en tant que principal fournisseur de pétrole de la Chine et,
pied de nez aux wahhabites, envoie ses Sukhoïs dans le ciel syrien
bombarder les petits protégés de Riyad.
La principale victime du
gambit saoudien est en fait... l'Arabie Saoudite elle-même !
Les
réserves financières sont en chute libre (pour l'anecdote, Standart&Poors vient
de dégrader la note saoudienne) et le FMI ne lui donne que 5 ans à ce rythme.
Le coup de poker s'est transformé en pathétique harakiri mettant en jeu la survie même du royaume des Seoud.
Source : http://chroniquesdugrandjeu.over-blog.com/