Dans la grande série des acronymes qui jalonnent la géopolitique des
conflits eurasiens, le SYRAN est peu à peu en train de remplacer le SYRAK, tant le conflit syrien est chaque jour davantage lié à la
croisade de l'empire et de ses affidés israoudiens contre Téhéran.
La
grande affaire dont on parle actuellement est, comme chacun sait, la
remise en cause de l'accord sur le nucléaire iranien par Washington et
l'escalade contre la présence perse en Syrie.
Ne nous y trompons pas,
cette recrudescence d'hystérie est d'abord et avant tout le reflet du
fiasco monumental de l'empire dans le conflit syrien, plantage résumé en
quatre cartes.
Janvier 2017 :
Août 2017 :
Janvier 2018 :
Mai 2018 :
La
stratégie russe du salami (accords d'évacuation vers Idlib) couplée à
l'efficacité militaire loyaliste ont fonctionné à merveille. Daech vit
ses dernières semaines en Syrie, tant dans la Badiya qu'à Yarmouk,
au sud de Damas. Les autres barbus ont été rasés/expulsés de la Ghouta
orientale, de Qalamoun, de Yarmouk et en passe de l'être de la poche entre Homs et Hama.
La
continuité territoriale gouvernementale, fort ténue il y a un an et
demi, est désormais un fait indépassable et s'exerce sur les deux-tiers
du pays, l'arc chiite est en partie reconstitué. Devinez ce qu'en pensent Tel-Aviv et Riyad...
La grande question de ces derniers mois - et votre serviteur se l'est posée à plusieurs reprises - a été de savoir si les usual suspects
israoudiens et leur parrain US allaient ravaler leur fierté, leurs
intérêts divers et finir par accepter la réalité. Contrairement à ce que
l'on pourrait penser eu égard aux derniers événements, la question est
toujours d'actualité, car si plusieurs éléments semblent pointer vers
l'escalade, d'autres peuvent indiquer que l'on n'arrivera pas à ce point
de non-retour.
Tout le monde s'accorde à dire qu'un conflit
Israël/Seoud vs Iran mènerait à la catastrophe, soit un embrasement du
Moyen-Orient. Au Yémen, même si les pétromonarchiques viennent enfin d'avancer
dans la province de Taiz, les Houthis n'ont pas perdu un centimètre sur
les autres fronts et continuent d'illuminer le ciel saoudien avec leurs missiles. Au Liban, le Hezbollah et ses +100 000 missiles pointés sur Israël sont fin prêts en cas de conflagration.
En parlant du pays du Cèdre, notons en passant la conséquente victoire du mouvement chiite aux élections législatives
la semaine dernière et la cuisante défaite de Hariri, le petit protégé
sunnite des grassouillets cheikhs saoudiens. Sa tentative quelque peu
pathétique de sauver la face en organisant une "manifestation de la
victoire" a fait rire de Beyrouth à Ankara :
Le
leader druze Walid Joumblatt a lui aussi critiqué Saad Hariri, samedi,
sans le nommer. "Les élections se sont terminées et il est bizarre que
certains perdants célèbrent la victoire et que d'autres aient recours au
tapage médiatique au lieu de respecter la loi", a tweeté M. Joumblatt
sur son compte personnel. Vendredi, M. Hariri avait participé à un
grand rassemblement populaire à la Maison du Centre pour célébrer ce
qu’il considère comme la victoire de son parti aux élections.
Plus intéressante géopolitiquement est la critique de la Turquie, faisant écho à la crise du CCG dont on ne parle plus mais qui perdure :
Le
ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a estimé
samedi que le Premier ministre libanais, Saad Hariri, "sort perdant" des
élections législatives du 6 mai, à l'issue desquelles le Courant du
Futur s'est vu amputé de près d'un tiers de ses sièges au Parlement.
"Tout
le monde sait pourquoi il a perdu et je ne veux pas intervenir dans les
affaires intérieures du Liban", a affirmé le diplomate turc lors d'une
rencontre avec des journalistes de pays arabes à Istanbul, selon des
propos rapportés par les médias libanais. "Vous connaissez M. Hariri et
les raisons de son échec", a-t-il insisté, dans une critique implicite de la politique du chef du gouvernement libanais, notamment ses relations avec l'Arabie saoudite (...)
Les
déclarations du ministre turc interviennent alors que la situation est
tendue entre Riyad et Ankara, notamment depuis que la Turquie a
clairement exprimé son soutien au Qatar, visé par un embargo de ses
voisins. L'Arabie saoudite et ses alliés, notamment les Émirats arabes
unis, se méfient de plus en plus de la Turquie, jugée favorable à des
groupes islamistes comme les Frères musulmans, perçus comme une menace
pour la sécurité régionale.
En
mars 2018, lors d'une visite au Caire, le prince héritier d'Arabie
saoudite, Mohammad ben Salmane, avait estimé que la Turquie fait partie
d'un "triangle du mal" avec l'Iran et les groupes islamistes radicaux (...)
M. Cavusoglu a d'ailleurs considéré samedi que "les relations entre la Turquie et l'Arabie saoudite deviennent catastrophiques".
Sans
surprise, la crise sur l'accord nucléaire iranien entérine un peu plus
le divorce au sein du Conseil de Coopération du Golfe, le Qatar, mais
aussi le Koweït et Oman réagissant très prudemment à la décision du Donald tandis que les pions impériaux s'en réjouissent :
Si
le Qatar, le Koweït, mais également Oman, sont restés prudents, les
trois autres pays arabes du Golfe (Arabie saoudite, Emirats arabes unis
et Bahreïn) ont très vite soutenu et salué la décision du président
Donald Trump de se retirer de l'accord nucléaire et de rétablir des
sanctions économiques contre l'Iran.
Et
l'on en revient au potentiel embrasement de la région. Les Israoudiens
sont-ils prêts, profitant de la décision américaine de re-isoler
Téhéran, à déclencher les hostilités sur un front qui va du Liban à
l'Iran même en passant par la Syrie ?
Dans les mots, oui, et depuis longtemps. On se rappelle en novembre le tyraninho saoudien déclarer être "prêt à la guerre totale" contre l'Iran, ce à quoi Rouhani avait vertement répondu :
« Vous connaissez la puissance et la place de l'Iran dans la région.
Des plus grands que vous s'y sont cassé les dents. Vous n'êtes rien ! »
Visite de MBS en Israël, reconnaissance par Riyad d'intérêts communs entre les deux pays... Ce que vient de résumer
l'ambassadeur israélien en Egypte en affirmant ouvertement que l'Arabie
saoudite et Israël ont une même obsession : affronter l'Iran.
Jamais à court d'humour, les Saoud ont également menacé
le Qatar - où l'on retrouve la guéguerre du CCG - de "chute imminente"
si l'émirat ne finançait pas le stationnement des forces spéciales US en
Syrie ou n'y envoyait pas ses propres soldats. Il s'agit ici des suites
de l'annonce par Trump du retrait partiel de ses troupes et/ou l'envoi
hypothétique d'un "contingent arabe" en Syrie du nord, kurde faut-il
rappeler, pour "sécuriser la zone" (défense de rire).
Autre élément qui milite pour un embrasement : la nomination le mois dernier, au poste-clé de Conseiller à la sécurité nationale, de celui qui promettait
un changement de régime à Téhéran avant 2019, le néo-con et iranophobe
notoire John Bolton. Relevons tout de même que le moustachu s'est
quelque peu mélangé les pinceaux
dans ses déclarations récentes, affirmant que le retrait de l'accord ne
signifiait absolument pas une nouvelle guerre avant de se rétracter le
jour suivant, accusant Téhéran de provoquer cette même guerre...
Toujours est-il que le retour en force des vrais cons faucons dans la direction de la politique étrangère américaine inquiète.
Dans
les faits, Israël a multiplié ses frappes en Syrie contre les
installations iraniennes ces dernières semaines, ce qui pose évidemment
la question de la position russe (nous y reviendrons plus tard) :
Cette recrudescence a culminé avec l'échange musclé de mercredi et jeudi. Récapitulatif :
- Israël lance un missile sur la Syrie
- Damas répond par 20 missiles sur le Golan occupé par Israël
- Tel Aviv répond par 60 ou 70 missiles sur différentes installations iraniennes, projectiles dont la moitié aurait été détruite par la défense anti-aérienne syrienne.
Ce
qu'il faut relever ici, c'est la réaction de Damas (sans doute
conseillée par les Iraniens) : avec la reconquête de son pays, Assad se
sent fort et les règles d'engagement ont changé.
Désormais, il répondra du tac au tac aux incursions israéliennes,
quitte à faire du Golan un nouveau champ de bataille ou à bombarder les
positions de Tsahal, voire plus si affinités.
Comme l'analyse le renseigné Elijah Magnier, il est évident qu'il faut y voir la main iranienne et non russe :
La Syrie, en coordination avec ses alliés iraniens (et sans prendre en compte les souhaits russes)
a pris une décision audacieuse en répliquant contre des cibles
israéliennes dans le Golan. Cela indique que Damas et ses alliés sont
prêts à amplifier le conflit en réponse aux continuelles provocations
israéliennes.
Il est clair que l'Iran affirme maintenant
clairement sa présence en Syrie - ce qui n'est que justice finalement,
Téhéran étant le principal vainqueur de Daech. Toujours d'après Magnier,
le mois dernier, Israël a découvert, horrifiée, que de très discrets
drones iraniens survolaient son territoire en toute impunité et
livraient du matériel électronique à des groupes palestiniens. La
réaction fut le bombardement de la base T4, point de départ de ces
drones.
Au-delà du comportement quelque peu ingrat de Damas dans
cette affaire, tout ceci chagrine Moscou pour des raisons plus globales.
Pour la Russie, désormais co-patron du Moyen-Orient et ayant acquis une
stature internationale rarement vue dans son histoire, une escalade du
conflit israélo-iranien en Syrie serait délétère.
Le Kremlin tente de calmer le jeu. Faut-il y voir la raison de la décision
de ne pas, finalement, fournir de S-300 à la Syrie, du moins dans
l'immédiat ? Le fait que cela coïncide avec la visite de Bibi la Terreur
à Moscou n'a évidement échappé à personne. Mais durant les heures
d'entretien entre les deux hommes, dont rien n'a évidemment filtré,
gageons que des contreparties ont été mises sur la table. L'ours
réussira-t-il à calmer les ardeurs des deux belligérants ?
Autre
justification du Kremlin à propos de cette décision : la défense
syrienne fonctionne et a déjà tout ce dont elle a besoin. C'est un peu
exagéré mais la performance syrienne de jeudi ou celle du mois dernier
face à la salve américano-franco-britannique apporte de l'eau au moulin
de cette thèse.
Les Russes voudraient conserver le statu quo -
présence iranienne mais pas trop visible, fournitures d'armes iraniennes
à Damas et au Hezbollah mais pas trop massives, bombardements
israéliens irréguliers sur des cibles non primordiales - qu'ils ne s'y
prendraient pas autrement...
D'autant plus que la bourde
diplomatique américaine peut leur rapporter gros et il serait dommage de
perdre cette opportunité pour cause de chamaillerie locale ou
régionale.
En déchirant l'accord sur le nucléaire iranien qu'elle avait elle-même signé, l'Amérique a fortement perdu en légitimité et s'est isolée sur le plan international. Mis à part les bouffons israoudiens de l'empire, le monde entier, y compris les euronouilles, est vent debout contre la décision de Cretinho.
Pour une fois, Moscou, Londres, Pékin, Berlin, Téhéran et Paris parlent
d'une même voix, ce qui est suffisamment rare pour être relevé.
Si Rouhani résiste aux durs et maintient son pays dans l'accord, toujours garanti par les Européens, les Russes et les Chinois qui ne veulent pas en sortir, et soutenu par l'Inde et la Turquie, nous assisterions à l'émergence d'une inédite convergence eurasiatique isolant la puissance maritime.
Quant aux menaces de sanctions envers l'Iran et les entreprises
qui continueraient à y faire des affaires - et si on parle beaucoup des
compagnies européennes comme Airbus, il convient de noter que des
sociétés états-uniennes comme Boeing (commande de 110 avions par Iran
Air) seraient également touchées -, c'est une voie royale ouverte à la
dédollarisation.
Les stratèges US, lecteurs du Grand échiquier de Brzezinski, savent pertinemment le danger de l'émergence du triangle Russie-Chine-Iran pour l'avenir d'une suprématie américaine de plus en plus illusoire. Laisseront-ils l'administration Trump suicider l'empire
? Ou tout ceci n'est-il qu'un écran de fumée du Donald afin de
respecter une de ses promesses de campagne, faire partiellement plaisir
aux Israoudiens et renégocier un nouvel accord ? L'avenir nous le dira...
12 Mai 2018 , Rédigé par Observatus geopoliticus
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