Il y a une fièvre qui s’empare de ce pays (les USA) de temps en temps
et c’est la fièvre guerrière, une affection qui cette fois semble
résister à tous les remèdes connus, à commencer par celui de la raison,
comme le montre Daniel Lazare.
Que se passe-t-il lorsqu’une guerre impensable rencontre un cas
irrémédiable de fièvre guerrière ? Grâce au Russiagate, à des
informations non fondées sur l’utilisation de gaz toxique en Syrie, et à
un tas de pseudo-scandales et de pseudo-faits similaires, le monde
pourrait bientôt le découvrir.
En des temps plus raisonnables, y compris pendant la Guerre froide,
même dans les moments les plus chauds, les dirigeants politiques
savaient qu’il ne fallait pas pousser trop loin un conflit avec une
puissance nucléaire rivale. Après tout, quel était l’intérêt de se
lancer dans un combat dans lequel tout le monde perdrait ?
Des têtes plus froides ont ainsi prévalu à Washington, tandis que
celles qui étaient plus excitables ont été expédiées là où elles ne
pouvaient pas faire de mal. C’est ce qui a maintenu la paix pendant
l’affaire U-2, le mur de Berlin et la crise des missiles cubains et ce
qui promettait de continuer de la même manière même après l’avènement de
« l’unipolarité » américaine dans les années 1989-1992.
Mais cela, c’était à l’époque. Aujourd’hui, la question n’est plus de
savoir comment éviter conflit qui ne peut mener qu’à la catastrophe,
mais comment éviter un épreuve de force avec un pays qui « au cours des
quatre dernières années a annexé la Crimée, est intervenu en Ukraine
orientale, a cherché à influencer les élections américaines en 2016,
aurait empoisonné un ancien espion russe vivant en Grande-Bretagne et
soutenu le gouvernement meurtrier du président Bachar al-Assad en Syrie
», pour citer le projet de loi d’inculpation dans un récent article en première page du New York Times.
Étant donné que la liste des atrocités présumées s’allonge d’une
semaine à l’autre, la réponse est de plus en plus souvent : impossible,
pas moyen. Comme la Russie est déterminée à répandre le conflit et la
discorde dans tout l’Occident – ne serait-ce qu’aux yeux des États-Unis –
la confrontation devient de plus en plus probable.
Un coup d’État très américain
Ceci malgré le fait que les délits cités par le Times sont
chaque fois plus complexes ou douteux que ce que le “journal de
référence” est prêt à concéder. L’annexion de la Crimée, par exemple, a
été une réponse à un coup d’État financé par les États-Unis et dirigé
par des néonazis à Kiev en février 2014, qui a provoqué l’effondrement
de l’État ukrainien et a envoyé des russophones dans l’est, fuyant pour
se protéger dans les bras de Moscou. Après avoir investi plus de 5
milliards de dollars pour orienter l’Ukraine dans une direction aussi
désastreuse selon la secrétaire d’État adjointe d’alors Victoria Nuland,
les États-Unis ont accusé la Russie pour les conséquences. En ce qui
concerne les accusations d’ingérence dans les élections de 2016, le Times
lui-même a noté en janvier 2017 que l’évaluation officielle de la
CIA/FBI/NSA mettant en cause le Kremlin était notablement dépourvue de
preuves factuelles. Comme le journal l’a dit :
Le symbole néonazi Wolfsangel sur une bannière en Ukraine. |
« Le rapport déclassifié ne contenait aucune information sur la façon
dont les agences avaient recueilli leurs données ou en étaient arrivées
à leurs conclusions. Il est donc voué à être attaqué par les sceptiques
et par les partisans de Trump, qui voient dans ce rapport un effort
politique pour contester la légitimité de son élection ».
C’est tout à fait vrai. Mais maintenant, les affirmations sans
preuves sont acceptées comme des faits, tandis que quiconque dit le
contraire est ignoré ou décrié. Des questions subsistent au sujet de
l’empoisonnement de Sergei et Ioulia Skripal le 4 mars, notamment
pourquoi un agent neurotoxique supposé ultra-puissant serait sans effet
pendant plus de sept heures. (Quelqu’un aurait étalé l’agent
neurotoxique sur la porte d’entrée de la maison de Sergei
à Salisbury, en Angleterre, que lui et sa fille ont quitté vers neuf
heures du matin. Pourtant, ce n’est qu’à 16h15 qu’ils ont été trouvés
inconscients sur un banc de parc après s’être rendus dans un pub et
avoir mangé dans un restaurant local).
Quant au « gouvernement meurtrier du président Bachar el-Assad », un
tel discours serait ridicule si les conséquences n’étaient pas aussi
désastreuses. Après tout, ce n’est pas Assad qui a inondé la Syrie de
dizaines de milliers de djihadistes qui ont massacré les chrétiens, les
Druzes, les Alaouites et les laïques. Au contraire, c’était les
États-Unis, la Turquie, l’Arabie saoudite et les autres États arabes du
Golfe.
Comme l’a noté un rapport de la DIA (Defense Intelligence Agency) [Agence du renseignement de la défense, NdT] maintenant déclassifié en août 2012 :
– « Les Salafistes, les Frères musulmans et l’AQI [c’est-à-dire
Al-Qaïda en Irak] sont les principales forces qui mènent l’insurrection »
;
– « L’occident, les pays du Golfe et la Turquie soutiennent l’opposition [rebelle] » ;
– « Si la situation se détériore davantage, il y a la possibilité
d’établir une principauté salafiste déclarée ou non déclarée dans l’est
de la Syrie » ;
– « … [C’]est exactement ce que les puissances soutenant l’opposition
[c’est-à-dire les États-Unis, la Turquie et les États du Golfe] veulent
pour isoler le régime syrien, qui est considéré comme la profondeur
stratégique de l’expansion chiite… »
Une guerre de religion
En d’autres termes, les États-Unis et leurs alliés arabes sunnites
ont lancé une guerre de religion contre le régime syrien soutenu par les
Alaouites en sachant pertinemment qu’un État d’al-Qaïda dans l’est de
la Syrie pourrait bien en être le résultat. Pourtant, ils reprochent
maintenant à Assad de s’être défendu contre l’assaut salafiste et à la
Russie de l’avoir aidé. Il s’agit de lancer une guerre de religion
néo-médiévale et de crier au scandale quand l’autre partie ose riposter.
On pourrait penser que des têtes plus froides pourraient injecter une
note de santé mentale avant que les choses ne deviennent complètement
hors de contrôle. Mais le contraire semble être le cas. Plus la
température augmente, plus les membres du Congrès, les journalistes, les
experts des groupes de réflexion et d’autres personnes sont nombreux à
conclure qu’il est avantageux de prendre le train en marche et
d’exacerber encore plus les passions. La frénésie pro-guerre mène à
toujours plus de frénésie. Plus on a besoin de la raison, plus celle-ci
se raréfie.
(Illustration par Chesley Bonestell de bombes
nucléaires explosant au-dessus de New York, intitulée « Hiroshima U.S.A. ». Colliers, 5 août 1950). |
En effet, il semble parfois que la seule personne à moitié saine d’esprit qui reste à Washington est Donald Trump, qui, selon un étrange article paru dans le Washington Post
de dimanche, mène un combat désespéré d’arrière-garde contre des
néocons désireux de faire monter les tensions à des niveaux toujours
plus élevés.
Les journalistes Greg Jaffe, John Hudson et Philip Rucker ont décrit
une scène bizarre au centre de villégiature de Trump à Mar-a-Lago, en
Floride, le mois dernier, où des assistants n’ont pu persuader le
président d’expulser soixante diplomates russes en représailles à
l’empoisonnement de Skripal qu’en lui promettant que les alliés en
chasseraient autant en Europe. Lorsque la France et l’Allemagne n’ont
expulsé que quatre Russes chacun, Trump s’est senti trahi. « Je me fiche
du total », aurait-il crié lorsque les assistants ont essayé
d’expliquer que le nombre de personnes expulsées par toutes les nations
européennes s’approcherait finalement du chiffre américain. « Il y a eu
des jurons », a dit un fonctionnaire au Post, « beaucoup de jurons ».
De même, lorsque le Congrès a approuvé une nouvelle série de
sanctions anti-russes en juillet, l’article dit qu’il a fallu quatre
jours aux assistants pour persuader Trump de signer le projet de loi,
même s’il avait obtenu une majorité à l’épreuve du veto, ce qui en a
fait un fait accompli virtuel. Le Post a déclaré que la même
chose s’est produite lorsque des assistants ont essayé de le convaincre
de vendre des missiles antichars à l’Ukraine pour les utiliser contre
les séparatistes pro-russes. « Pourquoi est-ce notre problème ? »
aurait-il demandé. « Pourquoi ne pas laisser les Européens s’occuper de
l’Ukraine ? » Lorsque le directeur de la CIA, Mike Pompeo, l’ambassadeur
de l’ONU, Nikki Haley, et le secrétaire à la défense, Jim Mattis, ont
ajouté leurs voix au chœur, le président n’a pu que se plaindre : « Je
veux juste la paix ».
Tout le monde était d’accord, sauf Trump
Bien sûr, lorsque Donald Trump est la seule voix de la raison qui
reste, nous sommes vraiment dans le pétrin. Les querelles intestines se
sont intensifiées encore plus lundi après que Haley a juré d’imposer
encore plus de sanctions à la Russie pour le crime de soutien à Assad. «
Ils n’ont rien fait d’autre que de brutaliser leur peuple et de
détruire leurs terres, tout cela au nom du pouvoir », a-t-elle dit au sujet des Baasistes dans l’émission « Face the Nation » de CBS News. La Russie devrait donc en payer le prix.
Tout le monde était d’accord, les républicains, les démocrates et les
grands médias – tout le monde, à l’exception de Trump. Défiant ses
geôliers néoconservateurs, il a sapé Haley en déclarant que les
sanctions ne seraient pas prises en fin de compte. La porte-parole de la
Maison-Blanche, Sarah Huckabee Sanders, a dû affirmer
avec courage que « le président a été clair sur le fait qu’il va être
dur avec la Russie, mais en même temps, il aimerait toujours avoir de
bonnes relations avec elle ».
La chroniqueuse du Times Michelle Goldberg était si sidérée par le volte-face de Trump qu’elle se demandait
si les rapports selon lesquels Poutine utilisait un « enregistrement de
pipi » secret pour le forcer à s’aligner n’était peut-être pas vrai
après tout.
Mais bien sûr, qui d’autre voudrait mettre fin aux hostilités avec la
Russie, si ce n’est un fou ou quelqu’un sous la contrainte ? La guerre
avec une puissance nucléaire est quelque chose qu’aucune personne saine
d’esprit ne veut vraiment éviter, n’est-ce pas ?
La politique étrangère des États-Unis est prisonnière d’une puissante
contradiction. Une confrontation militaire avec une autre puissance
nucléaire est impensable. Pourtant, il est hors de question de s’arrêter
un instant pour réfléchir à la direction que prend toute cette folie.
Deux forces s’affrontent, la guerre d’une part et l’incapacité générale
de penser les choses d’une manière lucide d’autre part.
C’est comme un troupeau de cerveaux indépendants qui se précipitent
vers une falaise – non pas parce que quelqu’un les y oblige, mais parce
qu’ils ne savent pas comment s’arrêter.
Source : Daniel Lazare, Consortium News, 19-04-2018
Après tout, ce n’est pas Assad qui a inondé la Syrie de dizaines de milliers de djihadistes qui ont massacré les chrétiens, les Druzes, les Alaouites et les laïques. Au contraire, c’était les États-Unis, la Turquie, l’Arabie saoudite et les autres États arabes du Golfe.
RépondreSupprimerVous oubliez ISraeHELL, la France et le UK !