Dès janvier 2011, c’était mal parti
avec la résurgence de mouvements anciens, complexes et changeants, mais
aussitôt qualifiés par les observateurs pressés de « révolutions arabes ».
Révolutions, carrément ! Il se trouva même deux anciens militants trotskistes –
Benjamin Stora (spécialiste de l’Algérie) et Edwy Plenel (spécialiste de tout)
– pour commettre un livre : Le 89 arabe – Réflexions sur les révolutions en
cours. Un livre à ouvrir dès qu’on est un peu mélancolique, tant ses contes
et légendes sont à mourir de rire.
L’auteur de
ces lignes se souvient d’une confrontation télévisée avec Samir Aïta – éternel
courtisan de tous les défecteurs syriens, de Rifaat al-Assad à Moustapha Tlass
en passant par Abdel Halim Khaddam – dont l’obsession est de devenir ministre,
un jour… Ceint d’une écharpe rouge, rouge comme celle de Christophe Barbier
(révolutionnaire en chef de L’Express), le sieur Aïta ne cessait
d’invoquer – trémolos dans la voix – la « révolution » syrienne ! A la dixième
évocation récurrente du même type, votre serviteur se permet de mettre en garde
l’imprécateur contre l’abus textuel du terme ! Réponse courroucée du
pré-ministre : « mais vous, jeune homme qu’est-ce que vous pouvez bien
connaître des révolutions ? »
IL
ÉTAIT UNE FOIS LA RÉVOLUTION
Quelle
grande joie de pouvoir rétorquer que – comme jeune reporter – j’avais eu la
chance de pouvoir couvrir la chute d’Anastasio Somoza au Nicaragua et de
travailler, quelque temps, avec les plus hauts responsables du Front sandiniste
de libération nationale (FSLN), précisant que « la révolution sandiniste » fut
marquée par : une réforme agraire, la nationalisation des grandes exploitations
de la United Fruit Company et la promotion des droits des femmes. Une vraie révolution, de vraies
ruptures avec l’ordre économique, social et politique d’une sanglante dictature
soutenue par les États-Unis. Je concluais en n’observant rien de tel
dans la prétendue « révolution » syrienne, sinon les crimes d’une bande de
jihadistes cherchant à détruire l’Etat-nation syrien, avec l’aide des
puissances occidentales, des pays du Golfe et d’Israël. Samir Aïta faillit
défaillir…
Complaisamment
relayée par la presse occidentale, l’autre fable « révolutionnaire » consista à
répéter que, de mars à juillet 2011 s’était développé un « mouvement social »
pacifique, parti de la ville frontalière (avec la Jordanie) de Deraa,
s’étendant « spontanément » à l’ensemble du pays… Rien n’est plus faux ! Après
trois années de sécheresse, la révolte de Deraa mit, immédiatement, aux prises
plusieurs milliers de journaliers agricoles (originaires du nord-ouest du pays)
aux forces de l’ordre locales, avec l’appui de groupes armés des Frères musulmans venus de Jordanie.
L’auteur de
ces lignes a pu visionner des images recueillies par un service européen de
renseignement sur lesquelles on peut voir trois hommes masqués – armés de M-16
– tirer sur un poste de police de Deraa depuis les toits plats de la Médina.
Cette séquence date du 23 mars 2011. Certes, cette explosion sociale a été
durement réprimée, mais elle a été – dés le début – un mouvement de
confrontation directe avec les autorités légales, confrontation soutenue et nourrie par les Frères
musulmans syriens, basés en Jordanie, en Allemagne, en Grande Bretagne et aux États-Unis.
La suite est connue !
Par conséquent
et dès le début, les événements de Syrie ont été, inconsciemment ou
délibérément, mal compris ! A Paris, sur le plan de l’instrumentalisation
construite à dessein, trois chantres de la « révolution syrienne » ont,
abondamment donné de leur personne : un historien autoproclamé ayant un compte
personnel à régler avec les autorités syrienne1
; une chercheuse de la Fondation Ford, ayant traîné la diplomatie française
dans la boue durant des années, mais décorée de la Légion d’honneur par
François Hollande ; et, un très pâle ambassadeur de France en Syrie (2006 –
2009), tellement bon à Damas qu’il a terminé sa carrière à … Berne.
Dans un
contexte où les droits de l’homme ont pu tenir lieu de politique étrangère, il
n’en fallait pas moins pour qu’Alain Juppé prenne la décision hallucinante de
fermer l’ambassade de France à Damas en mars 2012. A un moment où il était
absolument vital de maintenir un canal de communication avec les autorités et
les services spéciaux syriens (plus d’un millier de jeunes français tentaient
de gagner le jihad syro-irakien par Istanbul), le maire de Bordeaux rompait des
relations diplomatiques ancestrales au nom de valeurs morales plus ou moins
bien exprimées. Ce faisant, Alain Juppé prenait la responsabilité d’inscrire la
crise syrienne dans la séquence chargée d’un totémisme diplomatique dont nous
sommes loin d’être sortis !
TOTEMS
ET GRANDS PRÊTRES
Devenus
totems en effet, il est de grands dossiers internationaux qui ne peuvent plus
relever – désormais – de l’analyse rationnelle, historique, sinon scientifique.
D’abord le conflit israélo-palestinien : critiquer
Israël, ses politiques coloniales, économiques et migratoires est devenu mission
impossible, voire un délit… Manuel Vals, puis Emmanuel Macron et
d’autres ayant assimilé l’antisionisme à l’antisémitisme.
Vient ensuite le génocide rwandais. Assimilé à l’Holocauste, cette tragédie génère,
elle-aussi, un totémisme dualiste : ceux qui n’acceptent pas qu’on associe
structurellement la France et ses forces armées aux massacres de la région des
Grands Lacs puis du Zaïre, sont automatiquement traités de « négationnistes ».
La même géométrie frappe
actuellement toute espèce de recherches et discours critiques engagés dans
l’intelligence de l’un des conflits post-Guerre-froide les plus complexes,
anomiques et globaux.
Ce processus
de totémisation de la guerre civilo-globale de Syrie aboutit à trois types de
rationalités, étant entendu – comme le démontrait Spinoza dans l’Éthique
– que « les idées fausses et inadéquates
peuvent s’enchaîner aussi nécessairement que les idées justes et adéquates »
: 1) l’émergence d’une caste de
grands prêtres ; 2) la multiplication
d’une série de disciples plus ou moins convaincus ; 3)
enfin, un retour plus ou moins perceptible de la censure.
Les grands prêtres accèdent à ce statut, adoubés par les médias privés et publics. Ils
présentent un profil caractéristique : parler de tout et n’importe quoi avec la
même ferveur ; passer d’un plateau télé à un studio radio et aux colonnes des
gazettes avec grande dextérité, fluidité et certitude ; détruire tout obstacle
et contradiction. Celui qui tient actuellement la corde n’est autre qu’un
ancien militant du Betar (mouvement de l’extrême-droite juive pro-israélienne). Il peut
dire les oracles sur la Syrie bien-sûr, mais aussi sur l’Iran, l’Arabie
saoudite, le Yémen, le Soudan, Israël, Emmanuel Macron et le mouvement « végan
». Parfois, on a droit à une prêtresse de zone inférieure : une consultante «
spécialiste des Proche et Moyen-Orient » qui peut tout dire et son contraire en
fonction de deux principes intangibles : le client est toujours roi et « j’ai
des enfants à nourrir ».
La classe des sous-grands prêtres fait plutôt appel à des « spécialistes » des États-Unis.
S’occupant de l’hyperpuissance, ils sont automatiquement habilités à pouvoir
parler, eux-aussi, de tous les dossiers possibles et inimaginables. Les
connaisseurs des arcanes de la Maison Blanche, du Congrès et du Conseil
national de sécurité sont partout chez eux, en toutes choses et toutes crises. Vient ensuite, le troisième cercle, celui des consultants,
des experts militaires et des différents instituts de recherche. Contrairement
aux laboratoires américains et aux grandes fondations allemandes, les IRIS,
IFRI, IREMO et autres FRS français crèvent la dalle ! Leurs dirigeants passent
leur temps à chercher de l’argent, étant bien entendu que la provenance des
fonds influence plus ou moins directement les travaux commandés. Faut bien
vivre !!!
OVNIS
IDÉOLOGIQUEMENT IDENTIFIES
Notre
deuxième rationalité de totémisation met en scène une kyrielle d’intellectuels
organiques de provenances professionnelles très diverses. Ils peuvent être
journalistes, enseignants, médecins, humanitaires, comédiens ou diplomates…
Tous, à un titre ou à un autre, se sentent « appelés » et dans l’obligation de
répondre aux injonctions des prêtres : se prononcer, témoigner, communiquer…
Ainsi dernièrement,
dans l’émission de Frédéric Taddei sur Europe-1, on a pu entendre
une espèce de bécassine insulter en direct l’ancien ambassadeur de France Michel
Raimbaud, auteur de plusieurs livres majeurs sur le Proche-Orient, devenus
des classiques. Vérifications faites : cette parfaite inconnue, qui a dû
franchir le boulevard périphérique deux fois dans sa vie, vient de commettre un
opuscule intitulé – Sales guerres – De prof de philo à grand reporter -,
comme s’il y avait des « guerres propres » ! Cette seule qualité permet à cette
gamine hystérique d’affirmer qu’il y a bien eu attaque chimique à la Ghouta,
que les bombardements occidentaux sont « justes » et que Bachar al-Assad
doit passer sur la chaise électrique. Qui juge qui ???
Aussi
peut-on voir quotidiennement, défiler sur le plateau de « 28 Minutes » (Bernard-Henri Lévy est président
du Conseil de surveillance d’Arte-France depuis plus de 22 ans !),
tous les petits chiens de garde de la bien-pensance parisienne avec, entre
autres : Romain Goupil (réalisateur improbable), Ziad Majed
(politologue libanais salarié
du Qatar), Éric Naulleau (homme sandwich du PAF, pour tout ce qui
est contre, et contre tout ce qui est pour/c’est un métier !) et bien d’autres
professionnels de l’indignation sélective mais compatissante.
Il est plus
triste – mais cela correspond aux rouages de notre deuxième rationalité – de
voir des gens ultra-compétents dans leur domaine initial, sombrer dans l’avis
péremptoire sur des questions et dossiers qu’ils ne connaissent absolument pas.
Ainsi, Jean Viard – sociologue respecté – spécialiste du territoire, de
l’agriculture, de la paysannerie et des « temps sociaux » s’est senti,
dernièrement, obligé de qualifier les bombardements occidentaux effectués en
Syrie de « bonne et juste action ». On a très envie de lui dire : mon cher
Jean, tu n’as jamais mis un bout d’orteil en Syrie, alors retourne à tes champs
de blé… »
Dans cette
constellation d’un crétinisme infinitésimal, les OVNIS évoluent en escadrilles
serrées. Objets/sujets volant non identifiés, parce qu’on ne comprend pas
pourquoi ils accompagnent à ce point et aussi spontanément les injonctions du
clergé de la bien-pensance, leurs ressorts idéologiques – à défaut d’être
raisonnables – sont néanmoins plus clairs : détruire l’Etat-nation syrien, contribuer à faire de ce
pays ce qui a été fait de l’Irak et de la Libye ! Haïr l’Etat-nation en général
!
En ces temps
de commémoration du cinquantenaire de Mai-68, tous ces idiots utiles, qui se
sentent irrésistiblement « appelés » à soutenir les bombardements occidentaux
de Syrie, feraient bien de lire ou relire la Lettre
ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary. Le regretté
Guy Hocquenghem y explique par le menu (1986) comment les
révolutionnaires peaux d’lapin comme Daniel Cohn-Bendit ou Serge July
et tous les autres sont passés de leurs démangeaisons petites bourgeoises à
l’apologie du capitalisme le plus libéralement sauvage, comment ils ont cultivé
et propagent aujourd’hui une haine de soi devenue la plus belle affirmation d’un
individualisme consumériste, destructeur et impérial.
Comme a eu
l’occasion de la dire récemment (miraculeusement !) sur l’antenne d’une radio
de service public l’anthropologue Emmanuel Todd, les derniers
bombardements occidentaux effectués en Syrie ont, surtout atteint nos propres
valeurs, celles du patriotisme, de la laïcité et l’égalité hommes/femmes.
LA
CENSURE, C’EST COMME LES TRAINS…
Ça peut en
cacher d’autres ! Sans surprise, notre troisième rationalité de totémisation de
la crise syrienne produit de la censure, de différentes formes et procédures.
Il y a d’abord les petits censeurs aux ciseaux de bois, comme par exemple Nicolas
Truong, le commissaire politique des pages débats/opinions du Monde,
qui publie systématiquement le moindre ressenti de Bernard-Henri Lévy en
première page (Bernard-Henri
siège aussi aux conseils de surveillance du Monde et de Libération),
tandis que ses contradicteurs se voient opposer toujours la même réponse : «
pas de chance, y’a plus de place… »
Il y a,
ensuite les Tweets de Bruno Tertrais – autre exemple – et
d’autres policiers de la pensée qui font annuler des colloques ouverts et
pluralistes sur la Syrie et d’autres dossiers. L’année dernière aurait dû se
tenir une conférence sur la crise syrienne au Mémorial de Caen avec
différents chercheurs, journalistes et députés. Quelques injonctions numériques
ont suffi à faire annuler la réunion. Reprogrammée à la Sorbonne, puis à
l’Assemblée nationale, celle-ci a pu se tenir – finalement – dans les sous-sols de l’Église
russe ! Et c’est bien une preuve supplémentaire qu’il fallait
l’interdire. Justement, un colloque qui devait se tenir sur la Russie actuelle
vient d’être annulé – lui-aussi – au dernier moment.
Ne parlons
pas des pressions régulièrement exercées sur les intervenants qui acceptent de
se rendre sur le plateau de Russia-Today-France et des papiers
russophobes que publient régulièrement L’Express et d’autres gazettes. Ne
parlons-pas, non plus, des humeurs fatiguées de Sylvie Kauffmann «
directrice éditoriale du Monde », régulièrement déconstruites par notre
collaborateur Etienne Pellot !
Tout cela
n’est ni très sain, ni rassurant sur l’état de santé de la démocratie
française. Écoutant le président de la République clôturer les deux journées
parisiennes consacrées à la lutte contre le financement du terrorisme (25 et 26
avril), l’auteur de ces lignes l’a entendu saluer une « France, patrie
des droits de l’homme et protectrice de la liberté d’expression ». La
parole est facile et souvent tout aussi totémique que dont nous venons de
rappeler les sorties de route. Une incompressible réalité pèse maintenant sur
ce magistère de la communication souveraine : la censure s’exerce de nouveau en
France !
Relatant la
révolte syrienne (1924 – 1926) contre la France mandataire, Alice Poulleau
– citoyenne française qui résidait alors à Damas – dit toute sa honte dans son
livre-témoignage – A Damas sous les bombes.
Suite à la participation française aux derniers bombardements occidentaux
effectués en Syrie, nous ressentons aujourd’hui le même sentiment et ne
trouvons pas les mots à dire aux patriotes syriens, ni pour expliquer, ni pour
excuser ces attaques d’OVNIS. Celles-ci ne changeront rien, ni à l’évolution
des combats qui perdurent sur le terrain, ni aux blocages diplomatiques, ni à la nouvelle guerre que les États-Unis,
Israël et l’Arabie saoudite préparent contre l’Iran.
Bonne
lecture et, néanmoins bonne semaine.
Richard Labévière
7 mai 2018
Source : Proche & Moyen-Orient, Richard
Labévière, 07-05-2018
Aveugles , Sourds , Muets ils ne feront plus MARCHE ARRIÈRE !!!!!! Ce sont des gouvernements terroristes et rien de plus ou de moins .LEUR DÉMOCRATIE ? UN LEURRE !!!!!
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