Le Donald restera-t-il dans l'histoire comme le
fossoyeur de l'empire américain ? Cette question que nous nous posons depuis
son élection ressurgit après le sommet historique et surmédiatisé de Singapour
entre Trump et Kim.
Pour bien comprendre les tenants et les aboutissants,
jamais explicités dans la presse grand public ni dans la majorité des médias
alternatifs, un petit rappel est nécessaire :
Nous sommes
évidemment en plein Grand jeu, qui voit la tentative de containment du
Heartland eurasien par la puissance maritime américaine. La crise coréenne ou
les disputes territoriales autour des Spratleys, des Paracels ou des
Senkaku/Dyaoshu ne concernent pas une quelconque volonté de mettre la main sur
d'éventuelles ressources énergétiques ou routes stratégiques, ou alors
seulement en deuxième instance. Il s'agit avant tout pour le Heartland, la
Chine en l'occurrence, de briser l'encerclement US et de s'ouvrir des routes
vers le Rimland et vers l'océan, exactement comme la Russie le fait sur la
partie ouest de l'échiquier avec ses pipelines et ses alliances de revers.
La présence
américaine en Extrême-Orient est l'héritage de l'immédiat après-guerre (tiens,
tiens, justement la période des pères fondateurs de la pensée stratégique
états-unienne, MacKinder et Spykman). Japon (1945), Taïwan (1949), Corée (1950)
: la boucle était bouclée et l'Eurasie cernée à l'est, comme elle l'était à
l'ouest par l'OTAN, au Moyen-Orient par le CENTO et en Asie du sud et sud-est
par l'OTASE. La guerre froide entre les deux Corées ou entre Pékin et Taïwan
sont évidemment du pain béni pour Washington, prétexte au maintien des bases
américaines dans la région.
Washington
utilise habilement un conflit ancien et réel (crise coréenne : 1er niveau) pour
placer ses pions sur l'échiquier (Grand jeu : 2nd niveau). Des batteries THAAD
sur le territoire sud-coréen, surveillant officiellement la Corée du nord et
officieusement la Chine, seraient évidemment un coup porté à la dissuasion
nucléaire chinoise.
Ceux qui voyaient dans la dynastie des Kim des
résistants à l'empire se mettaient le doigt dans l'œil. Les multiples
provocations nucléaires de Pyongyang ont toujours été du pain béni pour les
Américains; la pire chose qui puisse leur arriver serait la chute du
régime et la disparition de la menace nord-coréenne, ce qui remettrait en
question la présence militaire US au Japon et en Corée du Sud. A l'inverse, ce
serait une bénédiction pour la Chine et la Russie car cela ôterait le prétexte
dont use et abuse le système impérial afin de conserver ses bases dans la
région. Kim III ou l'idiot utile de l'empire, nous l'avons expliqué à plusieurs
reprises (ici, ici ou ici)...
A ce titre, ce qui vient de se passer à Singapour a dû
faire se retourner dans leur tombe Mackinder, Spykman et Brzezinski. Le
rapprochement inédit entre Pyongyang et Washington a poussé le Donald à annuler
les futurs exercices militaires américano-sud-coréens, ce qui a mis en émoi non seulement Séoul mais le Pentagone lui-même.
Surtout, Trump a évoqué un possible rapatriement, graduel et à terme, des
soldats américains présents au Pays du matin calme, en cas de dénucléarisation
de la péninsule. Inutile de dire que cette décision serait très populaire dans l'opinion publique états-unienne qui, sur le
dossier nord-coréen, soutient son président.
Or, tous ces développements - fin des kriegspiel,
retrait militaire US - sont exactement ce que Pékin demande depuis des années.
Les observateurs ne s'y trompent pas, qui voient dans ce sommet une
grande victoire chinoise. On ne se frotte pas impunément à la
patrie de Sun Tzu et des Trente-Six stratagèmes...
Le troisième - 借 刀 殺 人 (Assassiner avec une épée d'emprunt) - a de troublantes
ressemblances avec notre affaire : faire travailler les autres, sans qu'ils en
aient conscience, dans le sens de vos intérêts. Le Donald a-t-il été l'épée
d'emprunt en question pour, une nouvelle fois, saper les intérêts de l'empire ? ça y ressemble.
Bien sûr, nous n'en sommes qu'aux prémices et beaucoup
d'eau peut encore couler sous les ponts. Nul doute que le Deep State
fera tout pour torpiller le rapprochement, sèmera des obstacles sur le chemin
de la négociation, tentera de circonvenir Trump pour qu'il revienne sur ses
déclarations. L'Asie du Nord-est est une zone en devenir stratégique majeur et le Washingtonistan doit
s'arracher les cheveux à la simple idée de voir les États-Unis s'en retirer.
Bien des péripéties et rebondissements nous attendent
encore, mais les événements actuels pointent inexorablement du doigt ce que
l'on constate partout ailleurs : le reflux de l'Empire.
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