Un sujet
brûlant dans les pronostics militaires concernant la Chine, la Russie et les
États-Unis tourne autour du développement et de l’utilisation de la technologie
hypersonique
pour les missiles ou les UAV [drones] comme moyen d’attaque invulnérable. Comme
nous le verrons, les trois pays ne réussissent pas tous dans cette tâche.
Ces dernières années, les États-Unis, la Chine et la
Russie ont redoublé d’efforts pour équiper leurs forces armées de missiles et
de véhicules hautement destructeurs, comme évoqué dans l’article précédent. Le
récent discours
de Poutine à Moscou reflète ce cours des choses en présentant une série d’armes
avec des caractéristiques hypersoniques, on l’a vu avec l’Avangard
et le Dagger.
Comme l’a confirmé
le sous-secrétaire américain à la Défense pour la recherche et l’ingénierie, le
Dr Michael Griffin :
« Nous n’avons pas aujourd’hui de
systèmes capables de les tenir [armes hypersoniques] en respect (…) et
nous n’avons pas de défenses contre ces systèmes [hypersoniques]. S’ils
choisissaient de les déployer, nous serions aujourd’hui désavantagés. »
Le général John
Hyten, commandant du Commandement stratégique des États-Unis, a également
confirmé que les États-Unis accusent du retard dans ce domaine :
« Nous n’avons aucune défense qui pourrait interdire l’emploi
d’une telle arme contre nous, donc notre réponse serait notre force de
dissuasion, qui serait la triade et les capacités nucléaires que nous avons
pour répondre à une telle menace. »
Le développement des armes hypersoniques fait partie de la doctrine
militaire que la Chine et la Russie développent depuis un certain temps,
motivée par diverses raisons. D’une part, c’est un moyen de parvenir à la
parité stratégique avec les États-Unis sans avoir à atteindre le niveau
faramineux de dépenses de Washington [Voir
USA.
Al Capone au Pentagone : 21 mille milliards $ disparaissent !!] . La
quantité de matériel militaire possédée par les États-Unis ne peut être égalée
par aucune autre force armée, résultat évident de décennies de dépenses militaires estimées
entre cinq et quinze fois supérieures à celles de leurs concurrents les plus
proches.
Pour ces
raisons, l’US Navy est capable de déployer dix groupes de porte-avions, des
centaines d’avions et de s’engager dans des milliers de programmes de
développement d’armes. Pendant plusieurs décennies, la machine de guerre
américaine a vu ses adversaires directs disparaître littéralement, d’abord
après la Seconde Guerre mondiale, puis à la suite de l’effondrement de l’Union
soviétique. Cela a conduit les militaires US, dans les années 1990, à faire
passer leur attention d’un seul opposant à parité vers d’autres adversaires
plus petits et moins sophistiqués (Yougoslavie, Syrie, Irak, Afghanistan,
terrorisme international). En conséquence, moins de fonds ont été consacrés à
la recherche technologique de pointe pour de nouveaux systèmes d’armes, à la
lumière de ces nouvelles circonstances.
Cette décision
stratégique a obligé le complexe militaro-industriel américain à ralentir la
recherche avancée et à se concentrer davantage sur les ventes à grande échelle
de nouvelles versions d’avions, de chars, de sous-marins et de navires. Avec
des coûts
exorbitants et des projets pouvant durer jusqu’à deux décennies, cela a conduit à des systèmes
déjà dépassés au moment de leur sortie des lignes de production.
Tous ces problèmes ont eu peu de visibilité jusqu’en 2014, lorsque le concept
de concurrence avec de grandes puissances a été remis à jour dans un contexte
de vengeance, et avec lui la nécessité pour les États-Unis de
comparer leur puissance de feu avec celle de leurs concurrents
en parité.
Forcées par les
circonstances à suivre une voie différente, la Chine et la Russie ont commencé
à rationaliser leurs forces armées à partir de la fin des années 1990 en se
concentrant sur les domaines qui leur permettraient le mieux de se défendre
contre la puissance militaire écrasante des États-Unis. Ce n’est pas une
coïncidence si la Russie a fortement accéléré son programme de défense
antimissile en produisant des systèmes modernes tels que le Pantsir
et les S-300/S-400, qui permettent de se protéger contre les
attaques balistiques et les avions furtifs. Contrer la technologie furtive est
devenu un impératif urgent, et avec la production du S-400, ce défi a été
surmonté. Avec le futur
S-500,
même les ICBM [missiles balistiques intercontinentaux] ne poseront plus de
problème à la Russie. Dans le même ordre d’idées, la Chine a
fortement accéléré son programme ICBM, atteignant en une décennie la capacité
de produire un moyen de dissuasion crédible comparable à son équivalent russe
SS-18 Satan ou américain LGM-30G Minuteman III, disposant d’une longue portée
et de multiples véhicules d’entrée indépendants (MIRV) armés d’ogives
nucléaires.
Après avoir
verrouillé le ciel et atteint une parité nucléaire stratégique solide avec les
États-Unis, Moscou et Pékin ont commencé à concentrer leur attention sur les
systèmes anti-missiles balistiques américains (ABM) placés le long de leurs
frontières, qui comprennent également le système AEGIS équipant les navires de
la marine américaine. Comme l’a déclaré Poutine, cela constituait une menace
existentielle qui compromettait la capacité de frappe de la Russie et de la
Chine en réponse à une première frappe nucléaire américaine, perturbant ainsi
l’équilibre stratégique inhérent à la doctrine de la destruction mutuellement
assurée (MAD).
Pour cette
raison, Poutine a depuis 2007 averti
les partenaires occidentaux de la Russie que son pays développerait un armement
pour annuler les effets du système américain ABM. En quelques années, la Russie
et la Chine ont réussi dans cette tâche, testant et mettant en production
divers missiles hypersoniques équipés de technologies révolutionnaires qui
bénéficieront fortement à l’ensemble du secteur scientifique de ces deux pays, contre lesquels les États-Unis
n’ont actuellement aucun moyen de défense.
Actuellement il
n’y a aucune protection contre les attaques hypersoniques, et compte tenu de la
tendance à utiliser des statoréacteur à
combustion supersonique sur les nouvelles générations d’avions de
combat, il semble que de plus en plus de pays voudront se doter de ces systèmes
révolutionnaires. La Russie, pour contrer la supériorité navale américaine, a
déjà mis en service le missile anti-navire Zircon, et prévoit
déjà une version export avec une portée de 300 km.
L’Inde et la
Russie travaillent depuis longtemps sur le Brahmos, qui est encore un autre
type de missile hypersonique qui pourrait à l’avenir être lancé à partir du
Su-57. Bien qu’il s’agisse d’une technologie relativement nouvelle, les armes
hypersoniques donnent déjà beaucoup de maux de tête à de nombreux
planificateurs militaires occidentaux, qui commencent seulement à se rendre
compte à quel point ils sont en retard par rapport à leurs concurrents.
Cela va prendre
un bon moment aux militaires US avant qu’ils ne comblent le décalage
technologique et scientifique hypersonique avec la Chine et la Russie. Lockheed
Martin a obtenu un contrat
à cette fin. Pendant ce temps, les deux puissances eurasiennes se concentrent
sur l’intégration de leurs infrastructures terrestres [et maritimes, NdT] via l’Initiative “une ceinture, une
route”
[Nouvelles Routes de la soie] et l’Union eurasienne, un arrangement stratégique
qui empêche les États-Unis et l’OTAN d’intervenir facilement dans une zone si
éloignée du fait de leur incapacité à contrôler l’espace aérien, et
en fin de compte en infériorité numérique sur le terrain.
L’objectif des
Russes et des Chinois est la réalisation d’un environnement fortement défendu (A2/AD) sur leurs
côtes et dans leurs espaces aériens, appuyé par des armes hypersoniques. De cette
manière, la Russie et la Chine ont les moyens de perturber la chaîne logistique
maritime de l’US Navy en cas de guerre. En outre, l’A2/AD pourrait stopper la
projection de puissance américaine, grâce à des HGV
[planeurs hypersoniques] capables de couler des porte-avions et de détruire des
systèmes ABM terrestres spécifiques ou des plateformes de chaîne logistique.
C’est une
stratégie défensive qui a le potentiel de stopper la marine américaine, et de
lui dénier la suprématie aérienne, deux piliers de la façon dont les
États-Unis planifient leurs guerres. Pas étonnant que des groupes de
réflexion à Washington et des généraux à quatre étoiles commencent à sonner
l’alarme sur les armes hypersoniques.
Par Federico
Pieraccini − Le 21 mai 2018 − Source Strategic-culture
Traduit par jj,
relu par Cat pour le Saker Francophone
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