vendredi 1 juin 2018

L'accomplissement de Poutine en Syrie est absolument immense


Le pro islamiste Robert Fisk n'est pas un fan de Poutine, mais il reconnaît que le «cynique du Kremlin», comme il l'appelle, a fait quelque chose d'absolument extraordinaire en Syrie. Il a mis fin à la guerre occidentale « de changement de régime » et a arrêté le retrait russe de Méditerranée tout en réussissant à rester ami avec toutes les puissances régionales concernées (Israël, Iran, Turquie, Égypte, Arabie Saoudite) qui toutes recherchent ses faveurs. Ainsi,  d’après Robert Fisk, Poutine est devenu le partenaire incontournable de toutes les parties au Moyen-Orient… avec l’aide (involontaire) de « Trump la banane » et de ses deux désolants alliés, l’Europe et Israël.

Vladimir Poutine aura certainement prêté une très grande attention à l’emplacement de la batterie d’artillerie syrienne où quatre soldats russes ont perdu la vie ce week-end. Le désert autour de Deir ez-Zoor reste un endroit dangereux – politiquement et physiquement – dans lequel les Américains et les Russes jouent un jeu de guerre extrêmement risqué. Poutine soupçonne aussi les Américains d’avoir aidé l’artillerie d’une batterie de mortier qui a tué le commandant de la 5ème armée d’Extrême-Orient russe à Deir ez-Zoor, le lieutenant général Valery Asapov , il y a moins d’un an. Le mortier a-t-il été tiré par des combattants kurdes pro-américains ? Par Daech ? Les Russes disent que ce sont les DaéChiens qui ont pris d’assaut la position de l’artillerie syrienne ce week-end la nuit. C’est la routine normale des islamistes. Ils surgissent des oueds du désert dans des camions suicides et des motocyclettes suicides, même si les défenses syriennes sont supposés invulnérables (petits forts syriens, les monticules de sable et de ciment sur les vastes plateaux de sable).
Alors maintenant ce sont les Russes qui dirigent l’artillerie. D’abord ils furent la composante aérienne de l’armée syrienne, leurs observateurs aériens avancés sur le terrain permettent aux troupes syriennes de  diriger leurs Sukhoï sur les terroristes islamistes. Ensuite, les Russes furent les démineurs de Palmyre, Deir Ez-Zoor, Homs et Alep. Puis la police militaire russe escorta les djihadistes vaincus jusqu’aux limites de la province d’Idlib ou de la frontière turque. Ce sont encore les Russes qui font la liaison entre les Syriens et les Kurdes pro-américains sur l’Euphrate.
Il y a douze mois, dans les décombres d’Alep-est, les meilleurs techniciens d’artillerie de Poutine essayaient de reconstituer la carte minutieuses de la chute des tirs – le cratère des bombes et les effets de souffle des munitions russes larguées par avion. J’ai rencontré une de leurs équipes. Ses rapports ont été transmis, bien sûr, aux renseignements militaires russes. Mais ils vont d’abord directement au Kremlin.
Poutine les lit. C’est un manager pointilleux. Il n’y aura pas en Syrie de catastrophes genre Brejnev en Afghanistan – les Russes prient pour qu’il en soit ainsi – pas de retraites bâclées par les généraux politiques à travers l’Amou Daria, aucune nonchalance au Kremlin. Les officiers russes, passés par l’École de langues étrangères de Moscou, parlent bien l’arabe (et assez bien l’anglais) et, comme dans l’armée syrienne, leurs officiers montent en première ligne.
C’est pourquoi Asapov a été tué. Poutine a décidé de poursuivre ses ennemis jihadistes tchétchènes et russes jusqu’en Syrie et de les tuer tous. Il a sauvé son allié, Bachar al-Assad. Mais en même temps – à part un ou deux avertissements adressés à un Erdogan qui mettait un peu de temps à s’excuser d’avoir abattu un avion russe – il est resté un partenaire de confiance pour Israël, l’Iran, la Turquie, l’Égypte, le Liban, l’Arabie Saoudite et ainsi de suite .
Refusant de rejoindre son homologue fou de Washington dans une guerre sectaire entre sunnites et chiites, Poutine sait trouver l’expression convaincante qui touche chaque dictateur, premier ministre, autocrate mafieux, roi, président, tyran meurtrier de masse, torpilleur de relations publiques ou directeur de presse fautif : la “guerre contre la terreur”. Je pense que Poutine et Trump utilisent cette périphrase à peu près autant l’un que l’autre. C’est un sésame pour les masses, et peu importe qu’il soit prononcé par le cynique du Kremlin ou la banane de la Maison Blanche. Mais Poutine, bien sûr, est un homme pour toutes les saisons.
Il accepte les éloges de Bachar al-Assad pour avoir «sauvé» la Syrie. Il qualifie de "génial" le ministre israélien de la défense, Avigdor Lieberman. En effet, une traduction russe d'une réunion du Kremlin citait Poutine affirmant que Lieberman - ancien videur de l'ex-Union Soviétique - était "un grand Russe." Netanyahu est toujours le bienvenu au Kremlin, même quand il bombarde les Iraniens en Syrie. Le Sultan Erdogan de Turquie, dont l'armée de l'air a abattu l'un des avions à réaction de Poutine, s'est empressé de se lier d'amitié avec Poutine lorsque les Russes ont ordonné à leurs vacanciers de tarir l'industrie touristique balnéaire turque. Quand Poutine a voyagé au palais d'or d'Erdogan à Istanbul, il a placé un bang d'hélicoptère-porteur dans le centre même du Bosphore, juste en face du Topkapi.
L'Égyptien Sissi emmène Poutine à l'opéra au Caire. Au Kremlin, Poutine accueille le roi Abdallah d'Arabie Saoudite. Il accueille les Qataris. Il fait la cour à Rouhani en Iran. Il écoute, à coup sûr, le chef suprême Khamenei expliquer les maux de l'ingérence américaine au Moyen-Orient.
Heureusement, l'Iranien n'a pas mentionné l'invasion russe du nord de l'Iran pendant la Seconde Guerre mondiale, ni sa mise en place de soviets en Azerbaïdjan et de Mahabad au Kurdistan iranien quand la guerre était finie. Pas plus que Sissi ne se souvient que Sadate avait jeté les Russes hors d'Égypte en 1972. Pas plus que Poutine n'aurait mentionné à Assad comment le plus jeune Lion de Damas a flirté avec l'Occident et assisté au défilé de la Bastille avec Nicolas Sarkozy en 2008….
Mais après la débâcle libyenne, Poutine n'allait plus faire n'importe quoi quand ses « partenaires occidentaux » vont essayer de renverser Assad. Il n'y aurait plus de retraite russe humiliante de la Méditerranée.
Quand les Russes ont voulu parler plus tard à Khalifa Haftar, le seigneur de guerre militaire libyen anti-islamiste formé par les Américains, ils l'ont simplement transporté par avion sur un bateau russe au large des côtes libyennes. Lorsque les Américains se sont plaints que les frappes aériennes russes en Syrie ne touchaient que « les rebelles des armées terroristes favorites » de la CIA, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a répondu que "s'il ressemble à un terroriste, s’il  marche comme un terroriste ...alors  c'est un terroriste. "
Poutine verse aussi peu de larmes sur les mercenaires russes qui meurent en Syrie combattant les Kurdes, que sur les Kurdes qui sont morts en défendant Afrin contre l'armée turque et contre les cohortes daéchiennes. Cet accord semble avoir été simple. Les Turcs pourraient avoir la province d'Afrin - pour le moment - s'ils laissent les Syriens et les Russes débarrasser la province d'Idlib à l'avenir des terroristes islamistes (attention: faites attention à cette guerre).
Et un plus grand compromis semble avoir été atteint avec les Israéliens. Ils pourraient frapper les Iraniens s'ils le souhaitaient, mais pas de guerre contre la Syrie, pas de zones d'exclusion aérienne israéliennes (ou américaines), et - surtout - pas de guerre avec l'Iran. Les Iraniens ne veulent pas de guerre avec Israël (aucune des deux parties ne gagnerait, comme le sait Netanyahou), et à Téhéran, Poutine est la voix du bon sens. Un jour, le Département d'État a appelé à la «retenue de tous» - généralement lorsque les Israéliens envahissaient ou bombardaient le Liban ou Gaza - mais maintenant c'est le Kremlin qui appelle à la «retenue» entre Israël et l'Iran.
Dans quelle mesure le caractère rusé, dur et sardonique de Poutine a-t-il apporté tout cela - et dans quelle mesure l'instabilité et l'imprévisibilité de Trump ont-elles permis à la Russie de triompher politiquement au Moyen-Orient? Il est tentant de dire un peu des deux. Mais je soupçonne qu'un Obama aurait pu fournir un équilibre régional que Poutine a revendiqué pour lui-même. Alors que Moscou est aujourd'hui l'interlocuteur le plus pratique au Moyen-Orient, il est difficile de priver Poutine de la politique d'équilibre. Le cas de l'Europe est sans espoir.
L'Europe ne peut pas s'engager avec un Kremlin qui occupe encore une partie de l'Ukraine et annexe la Crimée. Elle fait des sanctions contre la Russie. Mais elle rampe comme un ver de terre devant les Américains, et devant un Israël qui occupe la Cisjordanie et annexe Jérusalem et le Golan. Le mot même de «sanctions» - ou désinvestissement - ne peut être mentionné en Europe sous peine d’être accusé d'antisémitisme. [1]
Israël peut tirer ses missiles en Syrie après avoir prétendu que des missiles iraniens étaient tombés sur le Golan, en réalité le Golan syrien occupé par Israël, bien que cela se soit un peu perdu dans le récit - mais Poutine n'arrêtera pas les attaques du Golan. On soupçonne fortement que c'est l'armée syrienne qui a lancé ces missiles sur les Israéliens - en représailles du bombardement constant des forces syriennes par les forces israéliennes (qui ne bombardent jamais les forces de Daech, bien sûr) au cours des trois dernières années. Ainsi, les Israéliens, craignant une réouverture du "Front Libanais du Sud" dans une future guerre contre le Hezbollah, ont ouvert sans réfléchir un "Front du Golan" - le long d'une frontière qui a été en grande partie silencieuse pendant 45 ans. C'est le genre d'équation que Poutine peut savourer. Soyez sûr, il sera là pour intervenir si quelqu'un a besoin de lui.
Et il insiste sur le fait que ce sont les Syriens qui s'installent seuls sur le plateau du Golan. Pas d'Iraniens. Pas de Hezbollah. Les Syriens ne peuvent pas objecter s'ils sont de retour sur leur frontière avec le Golan occupé. Et les Israéliens ne peuvent pas objecter si la Russie maintient les Iraniens et le Hezbollah. Les Russes aiment appeler cela "Déconfliction". Tout le monde recule. Pas de guerre sur le Golan. C'est l'espoir.
Quant à ce que les «experts» appellent la géopolitique, Poutine a immédiatement compris la nécessité de respecter l'accord nucléaire iranien lorsque Trump l'a déchiré. D'un coup, il est devenu un allié plus proche de l'Iran, il pouvait sympathiser avec l'Europe et il a pu se montrer aussi ferme dans un traité qu'il a signé avec la Chine. Mais il entre dans une potentielle guerre de marché avec les États-Unis - une guerre du dollar - aux côtés d'une Europe dont les gouvernements pourraient être prêts à résister à Washington (certains au moins), mais dont les grands hommes d'affaires montrent déjà leur lâcheté habituelle.
Il y a quelque chose de méprisant dans tout cela. Poutine ne va pas s'inquiéter des morts mercenaires russes en Syrie; leurs activités visent à tester la volonté militaire américaine en Syrie. L'Amérique ne pleure pas non plus pour ses mercenaires kurdes, et ne va les protéger à Afrin.
Poutine ne va pas crier au sujet des violations des droits de l'homme à Gaza – l’assassinat de manifestants civils non armés ou la destruction israélienne des cliniques des hôpitaux - lorsque ses propres avions ont détruit des cliniques et des hôpitaux en Syrie. Il s'en tient à la «guerre contre la terreur» - et être un allié de tous. Les enfants peuvent cliqueter leurs jouets, mais le tsar a les clés de la crèche. Le cinglé de la Maison Blanche ne sait ni ne se soucie ni, on le soupçonne, ne comprend. Il a longtemps ouvert la porte pour Poutine - et Poutine a marché tout droit à travers elle.

1 commentaire:

  1. Poutine n'a pas marché "à travers elle" il est peut-être important de relire et de comprendre les Ecritures!!!

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